Critiques

Théâtre : Dur dur la prostitution !

Avec Les Amazones de Jean-Robert Tchamba, les comédiennes Laurita Ngringeh et Larissa Manfo campent deux sœurs qui prônent la « Bombe F » pour décanter un quotidien délétère.

Deux sœurs, l’ainée Sonè et Zama la cadette, sont des amazones. Pas celles, célèbres, de l’ancien royaume du Dahomey. Elles sont à leur manière des battantes, des guerrières de la rue, avec pour seule arme le charme de leurs corps et leur sexe en vente sur le trottoir pour survivre dans une ville rythmée par des bombes qui tombent presqu’en boucle. C’est le fil d’Ariane de la pièce de théâtre Les Amazones de Jean Robert Tchamba, mise en scène par Laurita Ngringeh, lauréate du prix Goethe Découvertes 2022, jouée sur les planches dudit centre culturel allemand, le 14 octobre 2022.

Sonè (Laurita Ngringeh) et Zama (Larissa Manfo) vivent leur profession de foi de prostituées en dévoilant les dessous de leur combat dont les enjeux débordent le simple cadre du sexe mal joui et subi. Elles sont pour la « bombe F », autrement dit la famille africaine, une élite, accablée par des milliers de lettres de demande d’aide qui essaiment le sol et le mobilier et recouvrent les rideaux. Quand elles ne sont pas d’attaque, les deux frangines défilent leurs faits d’arme, leurs déchirures de femmes, les fantasmes des clients qu’il faut assouvir argent comptant. Importe peu qu’il soit chrétien, crétin, hypocrite comme la figure traumatisante de monsieur Tom qui dépucela l’une d’elle alors âgée de 12 ans. Être une belle-de-nuit c’est aussi se ressasser le souvenir de la mère écartelée entre l’amour et le désamour qui oppose les sœurs.

Camper le rôle de cocotte ou de poule dans l’adresse de la parole dévergondée du dramaturge aurait mérité un jeu des comédiennes qui transgresse le théâtre du texte pour se mesurer à fond, sans retenue et de façon inattendue, voire blessante, heurtant les esprits concupiscents, à l’expérience artistique des personnages en réelle situation de fonction. En effet, la direction du jeu des acteurs n’a pas poussé les deux interprètes jusqu’à l’offense de leur propre éducation et personnalité. Incarner une guerrière du sexe c’est aussi franchir le cap de l’immoralité de la fiction, de l’interprétation. Être au plus près du vrai et du suggéré, du connu et de l’impensé. Savoir produire l’effet théâtre.

Théâtre: Dur dur la prostitution !

Jupe courte aguichante, haut aux motifs par trop camerounais, quelques attitudes et postures lancinantes résument le champ de la mise en scène où la scénographie (dédoublement de l’espace-temps, intérieur maison et extérieur rue), le bruitage, la voix off du narrateur qui relance le récit et la force du texte auront dominé la prestation des comédiennes.

Martin Anguissa

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