Jean David Nkot n’est pas un artiste du « couloirisme »
Avec « P@chtwork », l’artiste qui vit et travaille a enfin exposé au centre culturel français de Yaoundé. Dans des conditions aux antipodes de son talent et de son œuvre. Hélas !
Il est toujours un immense régal de regarder les travaux Jean David Nkot ? représenté depuis 2018 par la galerie française Afikaris, tant la plasticité et l’esthétique ainsi que les thèmes abordés par le plasticien relèvent d’une manière de faire et de penser exceptionnelle. Cette-fois, c’est l’IFC de Yaoundé qui s’est offert, presque sur le tard, la première expo individuelle de l’artiste en ses locaux, d’octobre à novembre 2022. Sous le commissariat de l’universitaire et historienne de l’art Ruth Bélinga, l’expo P@chtwork , qui a drainé du beau monde le jour du vernissage, démontre à suffisance que montrer Nkot, même après de nombreuses expos collectives au Cameroun, et surtout après le solo retentissant Human@Condition(Afikaris Gallery, mai à juillet 2021, Paris) assortie de la parution du livre d’art du même titre – n’est pas montrer «Monsieur n’importe qui» (titre d’un personnage de l’humoriste et comédien Wakeu Fogaing, de regrettée mémoire), mais bien l’une des figures camerounaises les plus importantes sur la scène internationale de l’art contemporain.
Dans P@chtwork, Nkot ne se dérobe point de la monumentalité et de l’explosivité de la ligne, du signe et du signifié, des signaux d’alerte, de l’état de lieux de la condition humaine. Rappelant le mouvement Pop art, les œuvres (acrylique, encre de chine et sérigraphie) de l’expo, issues de sa collection privée, créées entre 2016 et 2022, représentent des corps humains meurtris ou des personnages en servitude sur fond, en avant ou emmêlés à des cartographies des territoires innommables. Chaque œuvre porte la marque d’un timbre-poste sur une enveloppe. On penserait en effet que l’artiste, ancien étudiant de l’école des beaux-arts de l’université de Douala à Foumban, exprime un contenu (la condition humaine) qui s’universalise par-delà les frontières.
Les grands formats « www.à l’aide.cm.org » et « effondrement@rêve yahoo.fr » montrent ainsi chacun en grand plan, un corps de femme et d’homme naufragés, gisant sur une pirogue retournée. Un autre illustre un forçat de la sidérurgie. Qu’il s’agisse tout aussi de personnes inertes et des têtes effroyables, Nkot raconte l’impact de la violence de la société contemporaine sur les individus. L’acte artistique est inévitablement un acte d’indignation face aux millions de morts, des défigurés, des déshumanisés produits par les industries du terrorisme, de la migration, de l’économie extractive, de consommation et de croissance abjecte.
La technicité du geste, l’expressivité de chaque détail, l’envergure des formes nous figent dans une contemplation trouble du déchirement ou de l’inessentiel humain. On regrettera cependant de voir cette expo – même à titre de sommaire ou indicatif de l’œuvre de Nkot, coincée dans le couloir de l’IFC. Et inexplicablement de tendre les grands formats avec des agrafes perforant les extrémités de la surface picturale et les bords de base rasant le sol.
Il y a à l’IFC, avons-nous constaté, un discours occurrent paternaliste, d’assistanat, d’aide, de non perception de commission sur les œuvres vendues. Un discours malheureusement qui ne vaut pas pour tous les artistes. C’est le cas de Nkot. Ce n’est pas du couloir de l’IFC qu’il tient sa réputation, sa cote et fait du chiffre. En dépit des clauses contractuelles entre les deux parties, c’est de toute évidence une chance et un honneur pour l’IFC de l’avoir exposé, quoique sans honte et dans des conditions (technique et spatialité) exécrables. L’artiste aura été une matière première finie inestimable pour l’Institut qui en a tiré un grand bénéfice symbolique dans la construction de son image et de son positionnement.
Lorsque, par la force des choses, on a donc la chance d’exposer Nkot, il est impératif que l’IFC se mette infrastructurellement à niveau. Qu’il se situe à hauteur de la valeur de l’artiste. De trouver une autre modalité de respecter son travail en évitant de porter atteinte à l’intégrité physique des œuvres. P@tchwork aurait ainsi eu dans sa nomenclature, son dimensionnement, plus de gueule et de poigne visuelle délocalisée en un autre lieu dans un esprit de respectabilité du travail et de sincérité d’estime à l’endroit de l’artiste, et non ce relationnel empreint d’hypocrisie, d’absorption, de signer sur son génie.
Il y a entre Nkot et l’IFC une nette différence de niveau, à le répéter. Pour la première fois, c’est en ce lieu que nous avons vu Nkot être piètrement exposé au Cameroun. Autant que nous avons regardé ses œuvres (peinture et installation) mises valablement en espace dans les expositions collectives Urban Attitudes (Ravy, 2018), TITRE à Bandjoun Station, au Cipca (ancien site) dans le cadre de la manifestation The Burden of memory (Goethe Institut/CIPCA), ou dans Cameroun une vison contemporaine(Banque mondiale, 2018). Cela dit, l’IFC se doit de se départir d’un esprit de colonialité dans le champ des arts visuels au Cameroun, désinscrire l’exposition des artistes dans un couloir dont les deux murs sont à peine espacés de deux mètres. Renforçant à cet effet une pratique entretenue du couloirisme. Jean David Nkot est une figure majeure et inspiratrice du courant artistique que nous nommons : le territorialisme ou encore le géographisme.
Martin Anguissa