Critiques

Le choix d’éclairer l’action

Qu’attend-on du journaliste en général, et de bon droit ? Qu’il propose des faits et puis c’est tout. Pour ce qui est du chroniqueur, sa mission d’éclairage lui confère certes un permis de survoler le factuel ; n’empêche, lui aussi reste un plumitif du quotidien dont la technique normalisée le contraint à s’adresser à tout le monde par le biais des médias justement dits de masse.

A ce compte-là, l’exercice auquel s’attèlent les journalistes soucieux de s’affranchir de l’immédiateté et disposant des outils nécessaires, c’est-à-dire les chroniqueurs, consiste à apparenter leurs informations selon des schémas plus ou moins élaborés, de façon à en dégager des leçons qui portent. Pas bien loin, mais c’est un effort louable, dont le produit est fort utile à ceux qui consomment les médias pour comprendre leur monde.

Le reporter nous arrose donc de faits, nous sommes en surface ; le chroniqueur tire des leçons entre deux eaux. L’on pourrait s’en satisfaire. Et ce qui porte le nom de « masse » s’en satisfait. A vrai dire, ici, chez nous, ce minimum n’est pas acquis. Est-il seulement atteint ? Sommes-nous satisfaits ?

En tout cas, ces questions ne sont plus pour Valentin Siméon Zinga, chroniqueur ayant, d’entrée de jeu, fait le choix de la profondeur. Un choix tout ce qu’il y a de délibéré, que nous avons vu s’affermir dans la durée, et dont la matrice a été coulée dans un alliage de recul, de projection et de mesure.

Le recul observé ici est une affaire tout à la fois de position et de posture. Quand il aborde un fait, notre chroniqueur le tient selon une distance minimale utile à l’observation pertinente de ses contours, ressorts et sens contenus. De cette position et à loisir, il pousse la méticulosité jusqu’à l’observation d’autres observateurs idoines, l’enjeu étant d’affiner l’analyse au plus ténu, sans pourtant, mais alors jamais, présenter le résultat de ce patient polissage comme relevant de l’avis sinon définitif, du moins comminatoire.

Et pourtant… S’il n’est pas devin, notre chroniqueur se projette encore et encore. Son écriture n’est pas narration mais réflexion, synthèse, analyse. L’objet de son travail n’est plus d’apporter un éclairage à ceux qui veulent comprendre, stade intermédiaire, entre deux eaux qu’il faut dépasser, mais bien plus, ce qui est activement et sans cesse recherché, de fournir du matériau aux décideurs. Un outil d’aide à la décision, donc. Ce supplément d’effort qui entraîne notre chroniqueur au profond des événements d’où il décrypte leurs subtilités, le transporte du même mouvement dans la sphère pas très fréquentée des hommes de médias à la plume si affutée que leur écriture les replace au cœur de l’action.

Quand bien même ! Ce n’est pas de cette plume-là que jailliraient des envolées enflammées de surenchère sous prétexte de scoop : notre chroniqueur est un adepte de la mesure. Un adepte presque pénitent. Dans les mots choisis, dont on voit bien qu’il est attentif jusqu’à leurs différentes connotations possibles. D’ailleurs, son vocabulaire riche et son champ expressif vaste laissent pointer la marque d’un scepticisme empreint de dérision (Eboussi Boulaga n’est pas très loin !), voire, dans les rares cas où son sentiment propre est sur le point de se laisser exprimer, du désabusement. Exemple ? « A quoi bon poursuivre cette chronique de jours moroses, puisque de toute façon, on ne risque pas, en cet espace, d’en épuiser le catalogue ? Et que ces analectes suffisent à humer le malaise ».

Oui, on sait : d’aucuns s’arrêteront au prétendu dommage que la formulation ultime du propos ne rencontre pas la simplicité, si ce n’est le simplisme attendus du journaliste. Mais quoi ? La profondeur a son prix…

Comprenons : il nous fallait un chroniqueur de ce métal trempé pour écrire, depuis le début, avec une constance monacale, des textes aboutissant à la somme cohérente et structurée que voici. A ceux qui pourraient en avoir besoin, et qui auraient constitué la relève des chroniqueurs profonds que la presse camerounaise peine à fabriquer depuis belle (?) lurette : il faut savoir que Valentin Siméon Zinga est une bonne source d’éclairage pour les éclaireurs.

Valentin Siméon Zinga, Cameroun. Chroniques d’une démocratisation assistée, Ifrikiya, 2018, 290 pages, 15 000 FCFA

Se’nkwe P. Modo

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