Douala: deux gestes disgracieux
C’était déjà arrivé pour la statue de Mbappé Lépé au stade Akwa à Douala, théâtre de ses exploits avec l’Oryx bellois : la différence avec le modèle offensait gravement la mémoire collective. M’en ouvrant à un condisciple du temps de l’école française et impliqué dans le milieu des archives du football vert-rouge-jaune, quelques jours après être passé devant cette chose scabreuse, il m’apprit que je n’étais pas le seul à être outré et cette réprobation était parvenue à qui de droit : la statue serait refaite. Mais à l’arrivée, même si cette deuxième version est déjà moins catastrophique que la précédente, la ressemblance n’y était pas. La statue est toujours en place : les centaines d’enfants qui sortent de l’école catholique Jean Bosco sise en face, dans l’enceinte de la cathédrale, frôlent tous les jours ce geste disgracieux. Qui la remarque même passant par là, piéton ou automobiliste, et a une pensée émue pour le Maréchal ? La légende veut que l’énergie cinétique libérée par un de ses tirs canon ait plié naguère une barre transversale, rien moins. Pour louable que soit cette initiative, le piètre résultat montre aux margouillats qui l’arpentent que de la coupe aux lèvres il y a loin. De quoi est le nom cette grinçante grimace mémorielle ?
Ce loupé quatre étoiles s’inscrit dans l’histoire déjà longue, six décennies tout de même, de l’incurie et de l’inachèvement en « terre chérie ». Il fait montre d’un trait caractéristique de la société des supplétifs, en l’occurrence cette insoutenable légèreté qui bâcle sans vergogne la moindre réalisation et se préoccupe exclusivement de l’argent qu’il y a à palper au final dans l’opération. Rien à voir ici avec celle de l’être et Milan Kundera, of course. Il faut la chercher plutôt du côté des ballons de baudruche qui éclatent au contact de la fine pointe d’une épingle et font sursauter les grand-mères. Comment cette injure criarde à la mémoire du Maréchal a pu aller jusqu’au bout et être installée sur un piédestal, si ce n’est cette incurie structurelle qui informe les comportements des rouages dans les appareils de décision à tous les niveaux ? De la commune au sommet de l’Etat sévit ce laxisme impénitent de l’irresponsabilité illimitée, autre trait caractéristique de la société des supplétifs, le ponce-pilatisme généralisé. Sur tous les paliers, les chevronnés ponctionneurs sont passés maîtres dans l’art d’esquiver les patates chaudes, pour ne même pas avoir à les refiler, jusqu’à ce que celles-ci se refroidissent. Avec la même habileté étourdissante, ils/elles transforment leurs positions dans une chaîne d’intervention et de décision en aimant à pépètes. Dans certains cas, il y va carrément de virtuosité.
La même mésaventure plastique arrive à une autre icône vert-rouge-jaune, d’envergure planétaire : Manu Dibango. Et pas n’importe où en l’occurrence, au musée national. Un portrait censé être de lui y frime en majesté sur un pan de mur. Autre grinçante grimace mémorielle du même acabit que la première statue infâme ci-dessus du Maréchal Mbappé Lépé : le personnage qui est représenté ne ressemble à Manu Dibango, ni de près, ni de loin. Seule la boule à zéro, les lunettes et l’instrument fournissent des indices plausibles. Cette inanité est pourtant exposée au musée national. L’insoutenable légèreté marche complètement sur la tête, là. N’est-ce pas plus qu’affligeant ? Mieux vaut ne rien faire, plutôt que de maltraiter une figure aussi précieuse du patrimoine culturel vert-rouge-jaune, par pure complaisance.
Car quoi d’autre que la complaisance expliquerait qu’une telle non-œuvre entre au musée national ? Franchement ? Il y a comme du foutage de gueule sur toute la ligne. Quelqu’un s’est-il demandé une seule petite seconde ce que les siens en penseraient, si d’aventure ils rencontraient cette horreur ? De toute évidence, non : elle n’eut pas été accrochée. Et des visiteurs étrangers connaissant bien la bouille ultra-médiatisée du génial gars de Yabassi, n’en seraient-ils pas mortifiés de honte ? « Ça ? Manu Dibango ? Vous voulez rire, monsieur ? Il ne ressemble pas à ça ! ».C’est de quoi tomber à la renverse comme une masse, en se demandant comment les Camerounais peuvent faire montre d’autant de légèreté avec un actif XXL de soft power. Le Cameroun, c’est le Cameroun ? Le pays où l’impossible demeure possible, il faut rester sur ses gardes, surveiller en permanence ses arrières. Ce 237 que les chauvinistes enflammés tiennent depuis quelque temps pour un continent dans la lice du football. Carrément. En faisant opportunément fond sur ce slogan recuit du temps de la dictature et de la peur bleue suintant des murs : le Cameroun est l’Afrique en miniature. Ils/Elles se gargarisent avec cette échelle pour pallier à la carence en être au voisinage nord de la latitude zéro.
Lionel Manga