Chroniques

Être exigeant : un impératif catégorique !

Faisons un peu d’esprit en ce début de rentrée scolaire : puisqu’on parle bien, chez nous et depuis un temps déjà de « chanteuse à voix » (sic), peut-on aussi par parallélisme des formes parler de « guitariste à guitare » ou de « percussionniste à percussions » ? Sérieusement !? Si on n’est pas ou plus une « chanteuse à voix », (sais-t-on jamais) on serait donc (désormais) une chanteuse « à quoi » ? Plus sérieusement encore je me pose cette question depuis que, d’abord les musiciens eux-mêmes et, ensuite, les journalistes culturels du Cameroun tous médias confondus, se sont approprié cette aberration sémantique qui prospère pourtant allègrement dans leurs milieux : on pourrait en dire autant de l’emploi des qualificatifs « légende » ou « vedette » dont l’emploi intempestif traduit une indigence intellectuelle qui finit par faire honte.

Il est important de rappeler – c’est le lieu – aux uns et autres que le journalisme dit « culturel » est une affaire d’élite et non de plumitifs qui ne prennent pas le temps de bien se former et de continuer à étudier : il est inconcevable que l’on lise de telles inepties aussi bien dans la presse écrite que les entendre de la bouche de quelques « Masters of Ceremony » tirés à quatre épingles et bien mal inspirés à l’évidence ! J’insiste sur ces détails importants parce que je pense qu’il y’a une sorte de rapport intrinsèque entre le niveau de la musique telle qu’on la pratique et le niveau de la qualité de son système de censure dont la critique musicale constitue le niveau achevé d’une réception critique susceptible de faire sens. Je voudrais bien préciser que je parle du corps des critiques (pour l’instant extrêmement chétif au Cameroun) et non de celui des pairs, ce dernier beaucoup plus fourni parce que constitué de collègues des auteurs compositeurs et interprètes fort nombreux.

Deux instances qui traduisent aussi des niveaux d’appréciation très différents. En effet, si le premier a la prétention d’analyser et de mettre en perspective un travail musical dans ses moindres détails, de créer une grammaire propre à un genre musical et de donner enfin des clés de compréhension aux différents processus d’évolution des styles et aux itinéraires de leurs précurseurs, le second, lui, gère davantage les affects avec un niveau d’autocensure élevé parce que faisant partie de la même corporation. Il est donc tenu par conséquent de bien gérer quelques susceptibilités lors de ses appréciations aussi bien publiques que privées…

On voit très bien, dès lors, comment il est beaucoup plus difficile de mettre en place ces événements-concours où l’on a tendance à primer, peut-être pas à tout-va, des artistes musiciens évoluant sous le même registre ou non : l’exemple le plus illustratif de cette situation étant « la distribution » des Canal d’Or camerounais. Un événement qui, si l’enthousiasme qu’il déclenche est bien compréhensif à maints égards et voire même jouissif aussi bien pour les différents nominés que pour le public qui devra les départager en votant à travers les réseaux sociaux (ce que je trouve aberrant puisqu’on lui impose un éventail de choix dont il n’est point souverain et sur lequel il doit légiférer). Ce qui traduit un paradoxe tout au moins à cause du flou artistique qui entoure les différents critères objectifs censés être l’émanation d’un travail de critiques consacrés. Et il y’en a au Cameroun. Il est donc grand temps que les choses changent, en l’occurrence dans un sens constructif et davantage pédagogique. Que l’on prenne la peine de bien qualifier les choses, avec pertinence et tact notamment ; que l’on prenne bien le temps aussi pour les concevoir et les organiser comme il se doit avec sérieux et professionnalisme.

La critique musicale camerounaise doit s’éprouver autrement que par cet amateurisme dont je relève très vite ici deux exemples dans cette chronique du mois. Cet état des choses est, en tout état de cause aussi, et au demeurant regrettable, parce qu’il s’agit de mauvaises pratiques qui s’installent pernicieusement dans un environnement encore fragile parce que en pleine construction : la pratique de ce type de journalisme étant encore récente au Cameroun comme on peut l’observer. Il nous faut donc faire très attention à ces « réflexes d’affaires » (organisation des concours notamment) qui ont pour objectif de désigner si ce n’est les meilleurs du moins les plus représentatifs de ce que ce pays est susceptible de présenter à la face du monde à un moment précis. Mais tout cela demande aussi que l’on ait un lectorat/audimat exigeant. Et sur ce dernier aspect, Dieu seul sait s’il y a du travail ! 

Joseph Owona Ntsama (octobre 2023)

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