Critiques

Théâtre : le mur de la discorde

Des riverains s’étripent pour un mur dans un quartier de Yaoundé où la misère s’encroute chaque jour un peu plus alors que le développement continue de se faire attendre.

Un arbre encastré dans un mur qui divise une rue d’un quartier populaire en deux. C’est là le lieu imaginaire qu’a choisi le metteur en scène français Yves Borrini pour articuler la tension dramatique d’une pièce que le public de Yaoundé a eu la joie de découvrir sur deux soirs (24-25 novembre 2023) au Laboratoire Othni de Yaoundé. Un mur qui porte en lui les germes de la désunion via des niveaux de vie de chaque côté de la construction. D’une part, des riverains qui ploient sous la dureté du quotidien et dont leur part du mur sert à la fois d’exutoire et de lieu de plaisance, voire de jouissance. D’autre part, des citoyens qui vivent ce mur comme un inconfort qu’il faut conjurer pour continuer de jouir des profits que la destruction pourvoira, surtout qu’à la place passera une route pour faciliter les affaires.

Pour mettre en musique ces tensions sur une intrigue disparate, cinq comédiens ont été convoqués, sur un texte à plusieurs mains élaborés en amont lors d’une résidence de création pilotée par la Compagnie Ngoti du regretté Jean Minguélé et de sa compagne Edwige Ntongon à Zock, deux figures de la scène théâtrale camerounaise passés ad patres voici deux décennies. Le récit dramatique tel qu’a pu s’en apercevoir le spectateur convoque plusieurs formes de théâtrales qui s’enchevêtrent avec entrain sans perdre de son effet entraînant. Le comique côtoie ainsi l’absurde et même si certaines séquences semblent sortir de la trame générale, il reste que le jeu des comédiens et la scénographie dans laquelle ils s’expriment sans anicroche accrochent le regard.

On en apprend ainsi des vilénies et des joies de riverains à qui il arrive de se réunir pour défendre leur position quant à la destruction du mur. En exploration de cette situation, Borrini construit une tension à partir de la vie au Cameroun où les fléaux de la corruption, des compromissions politiques ou de l’injustice sociale ont la peau dure. La pièce aussi expose la problématique de la protection de l’environnement sous le prisme de cet arbre pourvoyeur de bienfaits sur la santé et dont la destruction serait néfaste.

Soutenu par l’organisme faîtière du théâtre francophone, CITF, cette création qui a duré une quinzaine de jours, à la suite de l’atelier d’écriture de 2022 en ce même lieu, a réussi à remplacer deux comédiens dans l’impossibilité de faire le voyage de Yaoundé (la Gabonaise … et le Congolais Gilféry). Avec au bout la prouesse d’avoir pu amuser le public et suscité réflexion sur la vie comme elle va au Cameroun. Pays où l’on trouve des amoureux de la misère dont l’addiction est un cancer difficile à soigner, où des politiciens du dimanche continuent de tromper sans vergogne des foules pour leur seul intérêt, où des experts continuent de mener des gens en bateau, où le progrès continue d’être en panne, enserré dans cet environnement qui frise la cocotte-minute prête à exploser… C’est dire si les deux metteurs en scène qui fréquentent le Cameroun depuis trois décennies ont su ajuster les fragments de texte initiaux à une réalité drue que présentent nombre de nos quartiers. Après des lectures publiques desdits textes sur le sol européen, il serait bon que le spectacle qui en a résulté poursuive une vie sur les planches au-delà de ces deux soirs, tant la fièvre qu’il sait instiller dans le spectateur aide à s’interroger sur son quotidien et les lames de fond qui lui font parfois paraître comme une marionnette aux mains d’intérêts inavouables de ses semblables.

Destins croisés à Titi Garage, texte collectif, msc de Yves Borrini & Maryse Courbet, avec Ousmane Sali, Amadou Bouna, Hermine Yollo, Félicité Asseh, Sylvain Mekontchouo et Djo Ngeleka, 70 mn.

Parfait Tabapsi

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