Chroniques

Du respect de nos icônes

Mardi 18 juin, j’ai enfin pu assister à une performance scénique des immenses Toto Guillaume et Eko Roosevelt. Dans une salle du Centre culturel camerounais de Yaoundé où les caméras et autres appareillages techniques dépassaient, de loin, le nombre de spectateurs. Annoncé pour 19h, ce spectacle, qui était en réalité l’enregistrement d’une émission de la télévision nationale camerounaise dans le cadre de la fête de la musique, n’a commencé qu’après minuit. Après que l’amateurisme des organisateurs ait tenté, heureusement en vain, d’user de la patience de fans et autres mélomanes avertis mis au parfum par un téléphone arabe dont on peut questionner la pertinence par ces temps de réseaux sociaux tous azimuts.

Avant tout, peut-être faille-t-il rappeler, même rapidement, les états de services des deux pointures du soir. Leur talent a irradié le continent du temps où la télévision n’existait même pas encore chez eux. Auteurs-compositeurs et arrangeurs à succès, faiseurs de tubes, ils ont taquiné la pédagogie musicale chacun à sa manière avec des résultats impressionnants tant ils sont nombreux ceux qui leur doivent leur carrière artistique. Depuis près de dix ans, l’un a accepté de faire son retour sur scène et au bercail par intermittence (Toguy), quand l’autre a pris une retraite paisible dans son village aux larges de Kribi où il assume les fonctions de chef traditionnel ; de temps à autre, il sort cependant de cette réserve pour distiller des moments de bonheur lors de réjouissances organisées par ses soins ou par d’autres.

En voyant le sort à eux réservé ce soir-là, je n’ai pu m’empêcher d’avoir un haut le cœur. Le téléphone arabe ayant fait état de ce que l’enregistrement se ferait à la tombée de la nuit, c’est au cœur de la nuit, à l’heure de Nicodème comme diraient quelque esprit chagrin, qu’allaient commencer les hostilités. Après une session de balance épuisante et bricolée. Près de cinq heures qui mirent à rude épreuve la patience de nos héros. En grands seigneurs, ils ne s’en épanchèrent pourtant guère, eux dont le parcours a flirté avec plusieurs conjonctures défavorables et harassantes que même les organisateurs auraient sans doute peine à imaginer.

Mais il n’y eût pas que cela. Pour un enregistrement d’une émission de variétés, je n’ai pas compris pourquoi le public ne fut pas informé.  Pas même des confrères ne furent mis dans la confidence. Eux qui auraient sans doute aidé à gommer cette absence déplacée pour des trésors vivants d’un art galvaudé ces temps derniers par la consécration médiatique illusoire et un voyeurisme à tout crin.

Toto Guillaume en concert à l’Institut Français de Douala quelques jours avant.

Quoi qu’il en fût, Toto Guillaume fut à la hauteur d’une réputation qui se poursuit trois décennies après son dernier album MAKOSSA DIGITAL. Depuis son siège devant la scène, il sût entraîner sa troupe de gais lurons dans une exécution millimétrée d’un genre musical qui fit sa fortune et qui a depuis son retrait été mangé à tant de sauces. Preuve s’il en était encore besoin que son génie n’avait pris aucune ride et qu’il n’avait attendu personne pour initier les jeunes volontaires piqués à la fois par sa notoriété et celle d’un rythme à la pertinence perdue. Il a ainsi joué sa partition sans rechigner, balayant au passage les questionnements de fans, transis par l’incorrection de ses hôtes d’un soir à son égard, sur ses prouesses passées. Ce faisant, il démontra combien la musique, et donc l’art, est au cœur de l’élévation de l’âme humaine vers ces cimes ou la vie terrestre n’a plus préséance.

Parfait Tabapsi

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