Reportages

Batié : un mois d’août très plastique !

La localité de l’ouest du Cameroun a accueilli la sixième édition des «Ateliers Kanté», du nom du plasticien. Une occasion pour nous de rentrer dans cette initiative et d’en sonder les recoins. Reportage.

Batié, ce deux août 2017. Le taxi-brousse dans lequel j’ai embarqué à Bafoussam me dépose au lieu-dit «Carrefour Trois tombeaux». Il est 19H30 minutes. Il fait un temps de chien sous un froid hivernal. De plus, la petite localité est plongée dans le noir à la suite d’une coupure du courant électrique. C’est dans ces conditions exécrables que je rejoins une centaine de mètres plus loin l’atelier de l’artiste Jean-Jacques Kanté, qui sert de cadre depuis 2012 au déroulement du projet Les Ateliers Kanté (résidence d’artistes) porté par l’association Art-Kéo. Dans la concession familiale, c’est à peine si je distingue le propriétaire des lieux et toutes ces silhouettes des résidents qui m’accueillent. Je suis conduit dans la case sacrée en cours de finition. Elle tient lieu de cuisine et opportunément de salle de chauffage. Sur le feu allumé, le diner concocté par les jeunes artistes pensionnaires. Au menu : sauce de poisson frit et de silures, riz et plantain frit.

A la ronde du feu, j’apprends la désolation et la frustration des stagiaires de ne pouvoir aller se défouler au centre-ville faute d’électricité, après avoir passé 30 jours à bosser, presque reclus dans leur antre d’apprentissage et de création artistiques. Malgré l’obscurité et les intempéries, filles et garçons donnent  chantent, dansent à la lueur des torches des téléphones portables et des musiques qu’ils distillent. La fête improvisée s’achèvera au-delà  de minuit. Ce jour en réalité marque la fin de la résidence, attendant  le happy end  avec l’expo de restitution prévue le lendemain matin à l’hôtel Tchoupe Palace.

Victime du sérieux, de la réputation et du succès des éditions antérieures, alors qu’il avait été retenu au préalable 21 stagiaires, dix autres se sont présentés spontanément cette année aux Ateliers Kanté, non sans supplication d’être admis, étant partis de très loin pour certains. C’est donc ainsi que l’édition 2017 a battu le record de participants, en enregistrant un peu aux forceps 31 candidats. La plupart étant  des étudiants des instituts de beaux-arts et filières arts plastiques et histoire de l’art des universités camerounaises.

Le programme Les Ateliers Kanté a pour objectif d’améliorer le potentiel technique des stagiaires dans l’art de la représentation des formes certes, mais aussi d’amener les apprenants à pouvoir faire parler les formes picturales, notamment la nature morte, le paysage et le portrait. «Nous avons constaté que les jeunes artistes aspirants avaient des difficultés dans le traitement du volume, du glacis, de la couleur et de la texture», précise Patrick Ngouanang, le manager du projet. Dans cet accompagnement à la maitrise de l’art de créer, Art-Kéo fait intervenir des artistes professionnels reconnus ou en pleine révélation sur la scène nationale ou internationale. Cette année, les étudiants en résidence ont pu se confronter au savoir-faire de Jean David Nkot, Noel Franck Kemkeng, Tabufor Boris Anje, Ymele Alida et Mondel Dorcas, d’ailleurs eux-mêmes des anciens résidents.


Le programme Les Ateliers Kanté a pour objectif d’améliorer le potentiel technique des stagiaires dans l’art de la représentation des formes certes, mais aussi d’amener les apprenants à pouvoir faire parler les formes picturales, notamment la nature morte, le paysage et le portrait.

Outre la résolution des problèmes techniques de création, Les Ateliers Kanté offrent aux apprenants la possibilité de mieux connaitre les réalités du métier d’artiste. C’est dans ce sillage qu’ils ont eu des échanges professionnels avec Barthelemy Toguo, Ruth Belinga, Hervé Youmbi, Issa Nyaphaga et Yvon Ngassam  autour de leurs parcours, pratiques et expériences respectifs. Tandis qu’Aude Christelle Mgba, curatrice au centre d’art contemporain doual’art, les a entretenus sur comment bâtir une démarche artistique. La formation a été complétée, mieux agrémentée par la visite du centre d’arts visuels Bandjoun Station, le Musée des  Civilisations de Dschang et quelques sites touristiques.

Passion & sacrifices

Organiser une résidence depuis six ans relève pour les organisateurs, d’un acte de toutes les passions et sacrifices, mais aussi de prise de risques dans l’environnement camerounais. La vie en communauté  pour les stagiaires ne va pas sans problèmes : il faut ainsi pondérer les influences entre les participants, amener les uns et les autres à affronter leurs faiblesses, susciter et encourager les collaborations. Les Ateliers Kanté dans leur fonctionnement sont confrontés à des problèmes de financement, d’assurance. Il y a une urgence de doter le projet d’une bibliothèque. «D’une manière générale, Les Ateliers souffrent du  problème de reconnaissance sociale de l’art au Cameroun. Le projet peine donc à être accepté et compris par les institutions et les populations locales», souligne Ngouana.

Au bout  d’un mois d’août très plastique, il ne restait plus que la touche finale de clôture : le regard des populations rurales de Batié sur les œuvres créées pendant la résidence au travers d’une exposition de restitution, la première du genre, voulue par les stagiaires de la 6e édition.

Ce dimanche matin du trois septembre, les toiles posées sur des chevalets pittoresques faits en tiges de bambou ont déjà été rassemblées dans la grande cour des Ateliers Kanté. Jean-Jacques Kanté et Ngouana pressent les jeunes artistes. L’heure approche. Il faut tout transporter à l’hôtel Tchoupe sis au centre-ville. Vers 11 heures, l’expo de restitution est fin prête à la véranda de l’établissement hôtelier. Evidemment  pour cette collection de portraits, paysages et natures mortes, il a été retenu une œuvre par artiste. Les premiers curieux se rapprochent des tableaux, une dizaine de minutes plus tard, hommes, femmes, enfants font foule dans le petit espace restant sur le perron. A la surprise générale s’ajoutent l’émerveillement et des questionnements chez les spectateurs. Certains parmi eux se livrent au painting de leur corps ou se font croquer le portrait.


Les premiers curieux se rapprochent des tableaux, une dizaine de minutes plus tard, hommes, femmes, enfants font foule dans le petit espace restant sur le perron. A la surprise générale s’ajoutent l’émerveillement et des questionnements chez les spectateurs. Certains parmi eux se livrent au painting de leur corps ou se font croquer le portrait.

«Yousseu !», le nom de baptême de l’expo, fait référence au feu chef Batié. Il résume en effet l’esprit d’équipe, l’ambiance et les valeurs de savoir-vivre, de savoir-faire et de savoir-être que Les Ateliers Kanté inculquent aux apprenants. «C’est aussi une interjection d’appel du terroir pour attirer l’attention d’un auditoire quelconque qui annonce désormais la prise de la parole de l’interpellant dans sa communauté», explique Ngouana, cette fois dans le rôle de commissaire d’exposition. Au regard de l’engouement et des encouragements du public à l’appel «Yousseu !» des Ateliers Kanté, on peut dire que par sa seule présence, qu’il a  bien répondu : «Lèpeuh !».

Martin Anguissa, envoyé spécial à Batié

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