ReportagesUncategorized

In Memoriam : Voyage en Philombie

A la faveur d’un numéro hors-série de notre magazine consacré au grand écrivain camerounais, nous sommes retournés dans le village natal de l’écrivain et poète camerounais René Philombe mort en octobre 2001. Récit.

Ma dernière rencontre avant le décès de  l’éminent poète et écrivain camerounais remonte du temps où il fut interné à l’Hôpital central de Yaoundé, Pavillon haut standing. Sa chambre d’hospitalisation avait le pauvre luxe d’un lit. C’est un peu moqueur que Philombe appréciât ce haut standing délustré  à l’atmosphère froide, et qui obligeait ses visiteurs à rester debout faute de mobilier d’accueil. Allongé dans son lit de malade, au petit groupe de poètes de l’association de la Ronde des poètes venu  s’enquérir de son état de santé, il nous confia avec beaucoup de désolation, de regret mais surtout  de résignation que son plus grand mal était de ne pouvoir utiliser sa main pour écrire. Ne pouvoir écrire était déjà  pour lui mourir. Philombe, très amaigri, nous le disait dans l’effort vain de soulever sa main dont il tentait de remuer les doigts.

C’est ce souvenir-là qui m’accompagne durant le trajet  de Yaoundé à Batschenga, une soixantaine de kilomètres  bitumés, avec escale à Obala, en ce mois d’octobre 2014.  Ensardiné dans un vieux car Hiace au départ de Yaoundé, puis au départ d’Obala cette fois-ci dans un taco de brousse, je me rappelle les  récits ‘Une journée avec  René Philombe’ (Patrimoine N° 006, aout 2000) et ‘Voyage au bout de la vie’ (Patrimoine N° 021, janvier  2002) de Jean-Claude Awono   qui effectua à deux reprises le voyage  à la rencontre de Philombe,  puis à ses obsèques, sur une route poussiéreuse.

Ruines de Philombie…

Notre reporter devant le caveau du poète.

Ce vendredi 03 octobre,  c’est sous un soleil déjà brulant  en cette saison de pluie que la rurale urbanité de Batschenga s’ouvre à mes yeux : une chétive ville communale du département de la Lékié, région du Centre du Cameroun.

Il faut bien que mon voyage de devoir de mémoire et de foi littéraire rencontre les traces de René Philpmbe. Sans trop bien savoir, je ne voulais pas aller ailleurs  que là où René Philombe repose dans le ventre de la terre. Aussi rejetais-je les propositions de me conduire chez son fils, deuxième adjoint au maire, son épouse, ou encore chez son frère Hubert Nkoulou, ancien ministre de la République, si ce n’était pas l’endroit  où se trouve sa tombe. Avec insistance je précise donc à mes interlocuteurs que je voudrais  me rendre chez le grand écrivain Philombe en ajoutant dans mon mauvais  parler Eton (langue locale) «a bog yiéé».  Au bout de quelques renseignements, je vais me rendre compte que «chez Philombe»  c’est en réalité deux lieux : Batschenga, entrée de la gare ferroviaire, et Ndji, son village natal et sa terre sépulcrale, plus loin à 15 km sur la Nationale N° 1.

C’est à bord d’un moto-taxi que  je m’y rends. Sur le chemin, après une  certaine distance, nous nous arrêtons pour demander  notre route auprès d’un piéton. «Mais c’est chez moi, vous ne pouviez pas mieux tomber ; je suis son petit frère, je vais de ce pas au village, Dieu fait bien les choses.» Trois sur la moto, nous descendons quelques kilomètres  après  au bord de la route. Le «petit frère» de Philombe, en vérité son neveu,  me demande de le suivre sur une piste qui traverse une cacaoyère. Je lui demande si le jour de l’enterrement de Philombe, c’est ce chemin que le monde emprunta. «Sois pas pressé, tu en sauras plus», dit-il, en refusant que je prenne des photos dans cette belle plantation. Au sortir de laquelle nous dépassons une maison à notre droite tandis qu’une autre, la dernière, se dresse devant nous. «Ah, c’est chez Philombe ici ?», lui demandé-je enthousiaste d’être enfin arrivé. «Non, c’est ma maison», me répond-il avec beaucoup de gêne. En couvrant à la ronde du doigt, il m’explique : «ici c’est le village, la lignée de Philombe, des ancêtres jusqu’à nous. La route, l’embranchement qui vient de la route principale, et  qui vient au village, la voici  envahie par de hautes herbes. Tout ce que je peux te dire, voilà ce qui reste de la maison de Philombe, que tu peux voir derrière ma maison».


Pour Ateba, la vérité est là, visible : «Philombe n’existe plus ici au village ; depuis que sa première épouse, elle aussi est décédée, la maison est tombée».

Mon regard qui scrute l’endroit ne voit presque rien. Je me rapproche de cette mystérieuse maison. Enfouis dans la broussaille, deux ou trois pans de murs effondrés qui résistent encore au temps, tout comme les monceaux de la surface du sol dont la blancheur terne se couvre du ton verdâtre dû à la poussée de la forêt. Là traînent les vestiges d’un réchaud à pétrole et des pièces de quelques autres ustensiles de cuisine qui finissent de me convaincre qu’ici il y eût  de la vie autrefois. Alors je vais exiger à voir la tombe pour faire tomber le doute, cependant que mon hôte me dit «faut pas pleurer mon frère», tout en m’amenant vers le cimetière familial. Si les tombes des parents de Philombe sont dans des espaces clairsemées, c’est en cassant de hautes herbes  que nous accédons à la tombe de Philombe, construite sous forme d’une maisonnette. Plongée dans la broussaille, la tombe est d’un aspect hideux.

Retournés à sa maison, mon hôte m’apprend qu’il s’appelle Henri Ateba. Il vit pratiquement seul au village. Il ne peut s’occuper de tout à tout moment. D’autant plus que les enfants de Philombe ont abandonné l’héritage de leur père, ils ne viennent pas ici. Pour Ateba, la vérité est là, visible : «Philombe n’existe plus ici au village ; depuis que sa première épouse, elle aussi est décédée, la maison est tombée».

Héritage

C’est toujours  sur une moto qu’Henri et moi retournons à Batschenga. Au centre commercial, un heureux hasard nous fait rencontrer  Louis-Pascal Nkoulou, l’un des enfants de Philombe, le deuxième adjoint au maire de la ville. L’homme à la stature physique impressionnante, d’un ton autoritaire nous donne rendez-vous à la mairie. Dans son bureau, il est plutôt avenant. Je luis parle de l’objet de ma mission à Batschenga plus précisément l’après Philombe, la gestion de son legs patrimonial et littéraire, l’engagement de la mairie, bref ce qui est fait pour perpétuer la mémoire de l’illustre écrivain. Il se fait érudit de la bibliographie de son père. Très intéressé par le projet éditorial consacré sur Philombe, je lui fais tenir un numéro de Mosaïques sur Wolé Soyinka, il me donnera des contacts d’autres personnes ressources.


Quant à la contribution  de la mairie pour valoriser l’œuvre de Philombe qui fut  aussi un des conseillers municipaux, le fils ainé lâche : «jusqu’ici rien !».

«J’ai entrepris de rééditer les œuvres de Philombe en Inde où la qualité de l’impression est de meilleure qualité et les couts abordables. Tous les ouvrages qu’il a publiés aux éditions Clés l’ont été à compte d’auteur. A cet effet, je compte entrer en discussion avec cette maison d’édition», annonce-t-il. Au sujet de l’importante bibliothèque de l’écrivain, «avant même la mort de Philombe, deux orages avaient ôté les toitures de deux maisons au village et ici à Batschenga. Ce  qui en reste encore en bon état depuis sa mort, est gardé par les membres de la famille. Une bonne partie se trouve chez mon cadet René Léa à Soa».  Aussitôt, Il appelle celui-ci au téléphone pour lui informer de mon intérêt sur le devenir de la part de bibliothèque en sa possession.

Quant à la contribution  de la mairie pour valoriser l’œuvre de Philombe qui fut  aussi un des conseillers municipaux, le fils ainé lâche : «jusqu’ici rien !». Cependant, il révèle que son père est le fondateur de l’école publique de Ndji. La communauté est en attente de la finalisation du dossier administratif  de baptême de l’établissement scolaire au nom de René Philombe.

Ce qui reste de la maison de Philombe à Ndji.

Henri et moi quittons «monsieur le maire» pour le chez Philombe, au lieu-dit «entrée de la gare». Ici, un mur  sépare la masure rafistolée de Philombe de la bâtisse ultramoderne de son fils Louis-Pascal. Madame veuve Philombe me reçoit. C’est une femme grevée par la  pauvreté. «Qu’est-ce que tu veux que je te dise mon fils, je vis mal. Toi-même tu vois dans quelles conditions je vis. Cette maison de papa Philombe comme toi-même tu l’appelles, après sa mort, certains de ses amis m’ont offert des tôles pour refaire la toiture et de quoi refaire le mur arrière pour que la pluie ne tombe pas sur nous», ainsi dame Philombe introduit-elle sa vie après le décès de son mari, ainsi que  celui de sa coépouse.

Elle n’a pas accès à la pension de son mari. Pour survivre, «faute de moyens, beaucoup de livres de mon mari m’ont servi  d’emballage pour mon petit commerce, pour pouvoir nourrir mes enfants. Ce sont certains de mes clients qui me disaient que ce sont des livres importants. Hélas !», se désole-t-elle, en tenant entre les mains cinq ouvrages bien abimés, ce qui reste des livres de Philombe.

Au moment de lui dire définitivement au-revoir, sa fille Juliette Abé Ombédé Philippe étant  rentrée, elle me dit : «mon fils, je suis contente de ta visite. Je n’ai plus jamais revu les amis de Philombe depuis ses obsèques. J’espère que tu reviendras nous rendre visite». «Oui, maman, je reviendrais», lui répondis-je. A présent Batschenga m’appelle, Philombe m’appelle.

Martin Anguissa est poète et critique d’art [Extrait d’un numéro hors-série daté de décembre 2014]

Tags

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Fermer