Critiques

Manu vu par d’autres !

Un beau-livre florilège avec une superbe mise en page pour le plus grand plaisir des yeux et de la mémoire-vive !

Ce livre de Samuel Nja Kwa était attendu par les spécialistes de Manu autant que l’on attend – et pour combien de temps encore ?? – un hommage digne de ce nom qui lui sera enfin dédié dans son pays natal ! Manu Dibango est décédé de suite de Covid-19 le 24 novembre 2020 à Paris et, depuis, les hommages divers (spectacles de musique, expositions, écrits, témoignages-libres…) se sont succédé ici et là. Cet ouvrage qui présente la configuration interne classique et la présentation consubstantielle à ce qui convient de désigner par « beau livre », est une somme où l’auteur se raconte en même temps qu’il « raconte Manu » par procuration en donnant notamment la parole à ceux et celles, fort nombreux au demeurant, qui ont pratiqué le personnage sur plusieurs plans et sur le long cours. Sous un ton bienveillant – il rappelle utilement tout ce qu’il doit à Manu (p.17) – Nja Kwa plante un décor biface, avec un côté cour qui s’imbrique des fois intimement au côté jardin et vice-versa : il s’agit-là à mon humble avis d’un exercice qui pourrait paraître facile mais qui est plus difficile qu’il n’y paraît pour cet enjeu qui consiste à saisir l’essence de quelqu’un à travers moult photographies et des tranches de vie évoquées par ses amis et ses musiciens. Rappelons que Samuel Nja Kwa qui n’est pas à son premier essai (il en a déjà écrit quatre d’excellente facture de 2011 à 2024) est un photographe et un journaliste avisé de la chose culturelle, notamment musicale. Et surtout, quelqu’un qui a fort bien pratiqué Manu Dibango, contribuant ce faisant, et ceci grâce à ses nombreuses photographies prises sous diverses focales, à construire une signature visuelle qui se prêterait bien à une étude scientifique. 

Evocations

Des témoignages, bien que toujours poignants certes, mais d’inégales puissances suggestives et dont les contenus expliquent la proximité nucléaire et intimiste avec l’objet épistémique (Manu), la gestion des affects et de la relation professionnelle que l’on entretenait avec ce dernier ; des témoignages à forte valeur-ajoutée historique et culturelle (Lucien Dobat, Martin Meissonnier, Rhoda Scott, Dikoto Mandengue, Slim Pezzin, Cheick Tidiane Seck « le guerrier », Jonathan Handelsman, Bonga, Paco Séry…). Et, enfin, ce gain incommensurable en terme d’expérience musicale et humaine acquise et que traduisent avec leurs empathiques ressentis ceux des plus jeunes que de la génération du club parisien La Bohême (Mokhtar Samba, Denis Tchangou, Coco Mbassi, Richard Epesse, Kaïssa Doumbé, Adama Bilorou Dembélé, Manu Gallo, Pascal Lokua Kanza…). Tous ces témoignages montrent incidemment que Manu Dibango est un artiste-musicien qui a fait l’Histoire de son temps et que sa valeur intrinsèque sera davantage transcendée dans ce temps long dans lequel s’inscrit la matrice conceptuelle de cet excellent travail de mémoire facile à lire ! Un travail dont la contribution de chacune des personnalités approchées voit ici sa valeur esthétique fortement rehaussée par une riche iconographie plaisante « à visiter » elle aussi ! A ce titre, l’ouvrage aurait pu s’intituler « Manu Forever ! », « Sur la route de Dibango », ou « Ce musicien qui a fait l’Histoire » pour s’inspirer de l’essai stimulant de la musicologue et violoniste française Laure Dautriche (Ces musiciens qui ont fait l’Histoire, Paris, Texto, Editions Tallandier, 2021, 252 p.) sans que son contenu n’en soit altéré outre mesure ! La substance de l’essai de Dautriche sera présentée dans votre magazine dans ses éditions à venir.

Tout au long de la lecture captivante de ce bel ouvrage grâce aux lieux communs brassés, aux détails intimes relevés de manière parfois picaresque, le tout porté par un long narratif (en français et en anglais ce qui explique aussi la longueur du livre), travail qui apparaît dépouillé de ce côté mystérieux que l’on retrouve dans les Codex de l’Amérique précolombienne, Samuel Nja Kwa nous livre ici un testament post-mortem sur Manu Dibango plein d’allant sans cette morgue qui nous ferait sentir la cruelle absence de ce dernier. Un ouvrage-collector utile et incontournable à avoir dans ses rayons, donc ! Le mien, je l’ai déjà : et vous ? Qu’attendez-vous pour en faire l’acquisition !? 

Samuel Nja Kwa : Soul Makossa Man… Préface de Michel Dibango, Postface Blaise-Jacques Nkene, Paris-Douala, Édit. DUTA, 2024, 471 pages

Joseph Owona Ntsama   

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