Chroniques

Ekambi Brillant (1948 – 2022)

L’homme qui avait pour modèles James Brown (pour la gestion de la scène) et Claude François (pour les tenues de scènes), qui a connu pas mal de galères durant sa carrière ; connu la gloire et obtenu plus d’une fois la reconnaissance de la Nation, s’en est allé le 12 décembre 2022 de suite d’une longue maladie     

Ekambi Ekambi Louis Brillant alias « Ekambi Brillant » – je vous fais fi du sobriquet par lequel Cella Stella et Cie l’appelaient toujours – nous a quittés le 12 décembre dernier de suite d’une longue maladie. Très jeune, dans cette ville frondeuse qu’était Douala, il avait été initié à la boxe, 7ème art dont il observa la discipline quotidienne durant de longues années grâce à un jogging matinal agrémenté de fractionnés : on se rappellera toujours pour ceux qui vécurent à Paris à cette époque-là, qu’à la citée bourgeoise de Neuilly, près de Paris, il avait un certain Ahmadou Ahidjo pour voisin… Ce dernier y possédait une villa cossue dans laquelle il se retirait, dès que possible, pour prendre quelques jours de congés et jouir pleinement du « repos du juste ». Expression que je sors ici volontairement de son contexte étymologique. Et, un beau matin, de manière tout à fait fortuite, ils se rencontrèrent…le Président de la République l’appela même par son nom au grand étonnement de Brillant…

Rentré au pays après avoir pas mal bourlingué à travers le monde du Show Biz, à Jébalè cette fois-là, dans le village de sa mère, il gardera la même habitude. L’homme qui nous fit découvrir, au début de la décennie 80, la chanteuse Angélique Kidjo lors d’un concert fort couru au Cinéma Le Capitole, à Yaoundé, avec un Mbida Douglas aux claviers bien après son « Ekambi Brillant et son grand Orchestre ‘Les EB’S’ » avec lequel il fit feu de tout bois au milieu de la décennie 70 (75-76 très exactement) dans les villes de Douala (précisément au « Castel » une célèbre boîte de nuit) et de Yaoundé notamment ; cette femme qui fait aujourd’hui partie du Gotha des femmes les plus influentes de la terre, confortée en cela de plusieurs Grammy Awards remportés haut la main dans un contexte américain impitoyable et fortement concurrentiel – ce ne sont point Cécile Mc Lorin Salvant et Esperanza Spalding qui me diront le contraire ici – cette femme, disais-je à quelqu’un il y a peu, était l’une de ses fiertés, même si l’homme n’en parlait presque jamais ou, au mieux, restait très peu disert sur le sujet…

Funk et Makossa

J’ajoute que bien avant elle, la doyenne, aujourd’hui, Marthe Zambo avec laquelle il fit d’ailleurs ses premiers pas, était déjà sa choriste ; tout comme Jean Mekongo (« Mekongo Président ») était son musicien (époque des « Cracks » et « Les Black Sound ») : c’est aussi l’époque de son tout premier producteur, Moukoko James. Il y eut d’autres artistes qu’il a lancés grâce à sa maison d’édition et de distribution basée à Paris, International Jengu Production. Funk et Makossa constituaient l’ossature des productions de cette structure qui aura pignon sur rue durant de longues années. Tenez : c’est grâce à la Jengu Records & Distribution que nous devons des artistes tels Bertrand Mialet, Esso Essomba, Bella Njoh, Cella Stella et bien entendu Angélique Kidjo : cette liste est bien entendu non exhaustive.

L’album de Brillant lui-même (entre autres), notamment « Great Bonam » qui contient le célèbre titre « Manjanja Funk Funk » – je n’ai jamais compris pourquoi d’aucuns disaient « Soul Mandjanga Fun Fun » – fait partie de la même écurie et de cette belle époque ! Une chanson qui traduit très bien à mon avis tout le génie funkiste de l’homme ; l’un de ses meilleurs titres par conséquent. Une constante qui devra attirer votre attention : l’essentiel de ces albums voire tous, ont leurs textes entièrement écrits et la musique arrangée par Ekambi Brillant lui-même, en même temps qu’il tient aussi toutes les guitares avec Toto Guillaume… Les autres instruments sont tenus par des caïds comme Aladji Touré, Bob Benjy, Jean-Claude Naimro, Ben’s Belinga, Alex Perdignon, Féfé Priso, Jerry Manga, Roger Kom ou le trompettiste Hamid Belhocine. Bref, des noms connus, en l’occurrence ceux de l’époque charnière de « l’équipe nationale du Makossa », des musiciens notamment issus de la maison SONODISC avec un Ben’s Belinga comme chef de file et le brillant guitariste Peter Makossa.

Pour mémoire : c’est SONODISC qui produisit en son temps Peter Moukoko, Ngallé Jojo, Pierre de Moussy ou le chanteur-diplomate Bill Loko. Inutile de dire qu’Ekambi Brillant a dépensé une petite fortune à produire inlassablement et distribuer dans des conditions difficiles tous ces artistes, lui qui croyait au potentiel énorme de cette musique camerounaise de l’entre-deux 70-80 qui va se faire malheureusement abattre en plein vol par une piraterie des plus sauvages ! Et qui n’en est jamais ressortie à ce jour par ailleurs. 

11 Juillet 1971. Douala. Cinéma Le Wouri. Ekambi Brillant vient de donner un mémorable concert à ses fans venus des quatre coins de la ville ; des témoins encore en vie se rappellent d’ailleurs avec émotion des multiples rappels sur scène dont le jeune chanteur à la voix fluette fit l’objet ce jour-là où l’on dût vendre, pour satisfaire une cohue monstre, les souches des billets d’entrée conventionnels épuisés en un temps record ! Précisons aussi qu’à cette époque, le billet d’avion pour Paris – l’une des obsessions du jeune chanteur – coûtait 40.000 mille francs CFA : Ekambi Brillant avec la recette de ce spectacle n’aura plus aucune difficulté à boucler le montant de son Fly-Ticket qu’il paie cash !

Le rêve devenait ainsi réalité grâce au succès fracassant de ce concert et auréolé qu’il l’était déjà de son Prix de l’ORTF (Office des Radios et Télévisions de France) dont les épreuves du passage des candidats retenus se tinrent au Collège de la Salle, à Douala : « Djongele La N’dolo » (Disque AFRICAN, 1971) est le titre qui le propulsera au-devant de la scène artistique nationale, bien soutenu qu’il était par l’orchestre « Les Cracks ». Mais, ce que l’on ne sait pas, et dont on ne parle pas souvent, c’est que c’est davantage grâce à la magnanimité d’un certain Alondo Maurice qu’Ekambi Brillant devait sa participation à ce concours : un aîné – lui-aussi musicien – qui l’y avait fortement encouragé et qui aurait pu s’arroger la part léonine des retombés dudit succès, compte tenu de sa position de mentor à cette époque.

La première expérience avec Paris fut l’objet d’un désenchantement total en sus d’une très forte incompatibilité d’humeur avec son frère aîné déjà sur place et chez qui il avait pris logiquement ses quartiers dans un premier temps. Mieux préparé financièrement et psychologiquement après cette première expérience, il arrive à Paris, en plein froid, en Janvier 1976 pour une fructueuse collaboration avec Slim Pezin qui joue déjà depuis pas mal d’années (tout comme, entre autres, Mam Houari, Ben’s Diné ou Manu Rodanet) avec Manu Dibango. Plusieurs années après, c’est avec une énorme frustration qu’Ekambi Brillant évoquera cette collaboration avec le célèbre Norvégien à travers divers entretiens publiés dans le journal Le Jour paraissant à Yaoundé, sous la plume alerte du journaliste, alors thésard à Paris, Serge Alain Godong. Slim Pezin que Godong rencontrera aussi – question d’équilibrer l’information – s’exprimera avec moins de pathos à propos de cette collaboration, toujours dans les colonnes du même journal.

Une affaire d’élite

Je voudrais préciser ici et pour la gouverne de la cohorte de cyber plumitifs pressés, que le nom exact de son groupe notamment de l’« Ekambi Brillant et son Grand Orchestre » tel que nous le lisions sur les banderoles de l’époque, était « Les EB’S » et non « EBIS » !! Je passe sur les élucubrations et autres écrits aussi grossiers que maladroits tels : « […] il a sucé les seins de sa grand-mère jusqu’à l’âge de 7 ans » (sic), la jouissance impudique et insane de certains n’ayant vraiment plus de limite de nos jours ! Je rappelle à ceux-là que la culture est une affaire d’élite et non un refuge pour des personnes ayant de gros problèmes avec le minimum basique en matière de décence et d’éthique journalistique. Et que dire de cette présentation totalement désarticulée de sa discographie qui défile en boucle sur les réseaux sociaux ?! On aurait fait mieux en s’appliquant un tout petit peu, je pense bien…

Brillant me laisse le souvenir d’un homme certes fringuant jusqu’aux bouts des doigts (il était son propre designer vestimentaire) et fantasque comme il sut l’être surtout en début de carrière (il y a des anecdotes nombreuses sur ses lubies) ; mais, surtout, celui du souvenir du « musicien-plein » : chanteur de charme et guitariste de bonne facture toujours inspiré et prolifique (ses reprises cf. son travail avec l’excellent Kono Téles’ étaient autant porteuses d’émotion saine que les interprétations originelles ne l’étaient déjà). Mais Ekambi Brillant passera probablement dans la postérité, dans le milieu, comme celui qui a toujours tout fait pour que ses musiciens soient à l’aise, ne manquent de rien en l’occurrence, que leurs cachets soient payés intégralement et qu’ils soient logés comme il se doit : je me rappelle à ce titre d’un très court témoignage émouvant de Justin Bowen au Hilton Hôtel de Yaoundé lors de l’une de ces assemblées d’artistes-musiciens camerounais tablant une énième fois sur le serpent de mer qu’est la question du droit d’auteur et de ses aspects annexes. Si on l’aimera éternellement pour ses mélodies qui ont depuis traversé le temps, il ne faudra pas oublier ce côté humaniste de l’homme qui fait, mine de rien à mon avis, toute la différence. Surtout lorsque l’on sait à quelle enseigne les musiciens sont souvent logés…   

Joseph Owona Ntsama

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