Critiques

Colonisation : les artistes portent le fardeau de l’Allemagne !

Organisée par le Goethe Institut, la semaine culturelle allemande « The Burden of memory, considering german colonial history in Africa » a rassemblé les œuvres de 17 d’artistes visuels du Burundi, du Cameroun, de la Namibie, du Rwanda, de la Tanzanie et Togo, les  ex-colonies allemandes.

Documents historiques et créations artistiques constituent le fonds des trois expositions de la manifestation The Burden of memory, tenue à Yaoundé du 09 au 16 novembre dernier. La mise en représentation mémorielle et circonstancielle de la colonisation allemande a ainsi mobilisé les travaux des artistes des ex-colonies, exposés ces dix dernières années. D’emblée, The Burden of  memory, en termes d’expos d’ arts visuels, a plus ressemblé à une cohabitation d’anciennes expos qu’à une rétrospective artistique sur la question coloniale. Bien plus, les curatrices Marilyn Douala Manga Bell (Cameroun), Rose Jepkonir Kiptum (Kenya) et Nontobeko Ntombela (Afrique du Sud) n’ont pas porté sur les cartels des éléments d’historiographie (date et lieu) des expos antérieures.

C’est à la Galerie d’art contemporain de Yaoundé (Gacy) que l’on entre en contact avec la genèse de la colonisation allemande en Afrique. Muriel Ekobo dévoile et commente ainsi les premières cartes topographiques et économiques du Cameroun dessinées par Mosel. Parmi les traces vivantes de l’«œuvre contributive» allemande, Jacques Do Kokou et Roger Mboupda revisitent, dans une série photographique, l’architecture allemande respectivement au Togo et au Cameroun. Avec la Station de la mémoire (une vue photographique de l’œuvre d’art public installée à Douala), Justin Ebanda sérigraphie dans la conscience collective l’entreprise génocidaire du colonisateur, en évoquant  la pendaison du Roi Douala Manga Bell. L’inventaire des morts livrera-t-elle la vérité des chiffres ? Seul artiste allemand exposé, Philip Kojo Metz avec, sa sculpture d’une blancheur éclatante et d’une clameur muette, The invisible heroes (une reprise du monument commémoratif des soldats français morts pendant la Première Guerre mondiale, présent à Douala), rend hommage à son tour aux «Africains morts pour la patrie allemande».

Au CIPCA au quartier Emana, c’est le face-à-face entre le présent et le passé. C’est le choc avec la mémoire, le choc avec l’histoire. Dans la douleur, la colère et l’indignation, les artistes portent le fardeau allemand et font le deuil de leurs ancêtres décimés. Au regard de la scénographie choisie par les curatrices, l’expo aurait pu s’ouvrir sur la maison du deuil, la chambre mortuaire ou alors le caveau de l’installation Memorial des martyrs de Jean David Nkot ; puis se poursuivre dans l’infinie cimetière que dénote l’installation multimédia They tried to burry us de Isabel Tueumuna Katjavivi. On y peine à ne pas piétiner des visages qui n’ont pas encore été ensevelis.

Lorsque les républiques issues des ex-colonies ont démissionné du deuil national, quel peut-être le statut de la colonisation allemande dans la construction de l’identité, de la personnalité et de la citoyenneté d’environ soixante millions d’Africains actuels, héritiers de la chosification (Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1950) des Noirs, anciennement « pièces d’Inde » ? Dans une perspective de réhabilitation, réinvention,  recréation de l’africain contemporain, Pascale Marthine Tayou, de prime abord, semble indiquer qu’il faut se mettre définitivement hors de danger de la permanence de l’épée de Damoclès avec son œuvre Kolmanskop Dream Chapter 2. L’artiste a en effet suspendu de nombreuses pièces de bois sur un plafond, les pointes saillantes colorées dirigées vers nos têtes. D’ailleurs le même Tayou dans Nkondi, The Fetish Wall, amplifie la menace dans un rapport entre des miroirs (de contrôle ?) et  l’invasion des clous (nouveaux colons, nouveaux empires ?) sur les quatre façades d’une salle. S’assumer ou périr économiquement. Les peintures Afris Bank Notes d’Hervé Youmbi sont au cœur de l’indépendance monétaire et de l’unité de l’Afrique. Dans ses différents billets de banque, il portraiture de nombreux héros du continent. D’une manière générale, il n’est pas une seule œuvre à vif qui ne s’inscrit dans une perspective frontale sur la question coloniale.

En rappelant ainsi ô secours les «troupes» de l’art dont les œuvres ont été créées hors contexte, hors esprit et objectif de The Burden of memory, la RFA s’est lancée dans une grande opération de communication, de repositionnement de son image dans la reconquête de la mémoire et des imaginaires des Africains. Dépersonnaliser les expos antérieures sur la colonisation et contrôler la production d’œuvres futures au moyen d’un fonds institué pour 2020. Pourquoi le pays de Bismarck ne s’est-il pas raconté à lui-même depuis 1884 sa sauvagerie et sa barbarie en Afrique et 135 ans plus tard s’engager dans un révisionnisme diffus en faisant porter le premier faix aux artistes africains en terre camerounaise ? Un pays où, officiellement, d’un régime à l’autre, rien de mal ne s’est passé. Un pays où «le premier venu peut nous frire à l’huile de la dictature» comme l’écrit le poète John Shady Francis Eoné (Le testament du pâtre, 2005 ).

Il est donc d’un mauvais goût d’opportunité de devoir de mémoire de recontextualiser des expressions artistiques sur la temporalité coloniale allemande, de rallier aux forceps dans une antinomie d’époques et de sens un fragment du titre de l’ouvrage The Burden of memory, the Muse of Forgiveness (1999) de Wole Soyinka,  au positivisme, à l’acceptation, à l’adhésion, à la propreté qu’induit le sous-titre de cet événement : «Considering german colonial history in Africa» (Considérant l’histoire coloniale allemande en Afrique).

Après avoir longtemps fui son propre fantôme mémoriel, voici que l’Allemagne avec son The Burden of memory invite la victime «morte» à réécrire ensemble leur histoire. A coups de milliards de francs Cfa. Le cinéaste camerounais Jean-Marie Téno prévient à juste titre : «C’est celui qui finance qui dicte l’agenda».

Martin Anguissa   

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