Marilyn Douala Bell : « Le SUD 2017 a été singulier »
La promotrice du Salon fait le bilan d’une quatrième édition riche en péripéties et dévoile les dessous qui l’ont agité tout en indiquant que la 4è édition est loin d’avoir baissé le rideau.
Le SUD 2017, on a envie de dire que c’était une grande édition !
Elle était singulière. (Rires). Ce qui me plaît beaucoup c’est que tout le monde est parti satisfait alors que j’ai l’impression que cette édition a été très artisanale. Cela dans la mesure où j’étais jusqu’ici accompagné par Didier Schaub [son époux maintenant décédé] qui avait la charge de suivre les projets artistiques et qui, techniquement, savait très exactement ce qu’il y a avait à faire. Il était aussi en charge de la communication que nous aurons pu améliorer pour cette quatrième édition s’il avait été là. C’est une édition singulière, parce que je pense que nous allons crescendo depuis le début. Chaque édition a sa spécificité et nous avons réussi de continuer la discussion que nous avons entamé depuis la naissance de Doual’art. C’est-à-dire en fait la question de la place de l’humain.
Edition singulière peut vouloir dire aussi qu’il y a eu des moments forts. Quelle image gardez-vous de la semaine qui vient de s’achever ?
J’ai été extrêmement
honoré par la qualité des conférences. C’est pour moi la chose la plus
importante. On connaît Doual’art comme un espace d’exposition. On commence à bien
se faire comprendre comme un espace d’inscription d’œuvres d’art dans
la ville. Mais peu de personnes ont conscience de ce que nous
sommes dans la
production de pensée. Nous sommes un laboratoire. Nous travaillons sur le terrain
où nous rencontrons les habitants ; les artistes donnent corps à des idées
que les habitants ont ou qu’ils découvrent. Nous avons eu cette opportunité d’avoir
des personnes de talent
encadrées par Séverine Kodjo Grandvaux. C’est pour moi l’élément le
plus marquant de
cette édition, le lien entre le travail que nous faisons et la pensée.
Un grand mouvement a traversé le SUD 2017 autour de l’œuvre de Sylvie Blocher qui a été déboulonnée au lendemain de son installation. Comment avez-vous vécu ce moment ?
Je lie ce moment avec La nouvelle liberté de Joseph Francis Sumegné qui a été aussi au centre d’une énorme polémique en son temps. Souvenez-vous que cette œuvre a été implantée en 1996 et inaugurée seulement en 2007 à l’occasion de la première édition du SUD. Ce qui s’est produit et qui est invisible c’est la question de notre histoire. Je suis très mécontente que cette polémique ait eu lieu sur la couleur de peau de l’artiste, parce que c’était une façon de dévier le regard de l’essentiel. Cet essentiel-là est ancré maintenant chez les gens et je pense que ça va être une discussion permanente sur notre histoire. C’est en ce sens que j’aime beaucoup ce qui s’est passé. Ce qui s’est passé par ailleurs derrière tout ça et qui de mon point de vue est extraordinaire c’est qu’il y a eu une médiation nécessaire entre tous les pouvoirs : le pouvoir traditionnel et le pouvoir traditionnel de la ville. Cette édition du SUD les a fait entrer dans quelque chose que nous défendons beaucoup, et qui est comment faire en sorte que la société civile (les gens, les pouvoirs traditionnels, administratifs et politiques) entame un dialogue. J’espère pouvoir poursuivre ce dialogue en les réunissant et en essayant de définir des choses qui sont extrêmement importantes à savoir la disparition des pouvoirs traditionnels qui s’expriment dans un premier temps par l’affrontement. Ils veulent préserver leur pouvoir mais n’en ont plus les moyens. Comme ils n’ont pas d’autres manières d’exister que de dire non, il nous faut trouver d’autres moyens afin qu’ils continuent à exister, à se renouveler à se repenser. Cette polémique ouvre une nouvelle perspective de la construction de la ville entre les pouvoirs qui se disent à intérêts divergents mais qui doivent pouvoir avoir des intérêts convergents.
Bien que le SUD soit de toute manière politique, à travers son thème notamment cette année, une question politique s’est immiscée dans cette édition. J’ai compris une chose que je trouve essentielle et qui est le rôle de M. Essama. Il participe à deux choses que je dénie : la confusion ; c’est une personne qui apporte de la confusion, qui est dans l’autopromotion et qui n’a pas le désir de faire avancer les choses même si je souscrits à son idée de construire des monuments à nos héros, ce qui va permettre de conserver le lien avec notre passé. Il y a ensuite qu’il n’a qu’une seule envie : mettre le feu aux poudres ! La revendication est bonne mais il faut avoir l’intelligence de la revendication. Ce n’est pas la violence qui apporte la réponse souhaitée, mais la réflexion et la construction. Essama a fait son show, quelques personnes l’ont suivi, mais beaucoup ont compris après coup que sa manière de faire n’est pas forcément la bonne. Avec les chefs traditionnels d’un côté et la communauté urbaine de l’autre, on s’est battu pour le faire sortir de prison après une plainte déposée à son encontre. Le fait qu’il ait détruit cette œuvre lui a donné plus de force que si elle était restée en place.
Les jeunes ont été au cœur de cette édition à travers différents établissements scolaires avec qui vous et les artistes avez travaillé.
Oui. Nous ouvrons avec le SUD des plateformes. Je suis fière d’avoir donné la parole aux jeunes pendant la cérémonie d’ouverture. Ce qui leur a permis de s’adresser à une assemblée qu’ils ne toucheront jamais pour dire «nous voulons que notre droit soit respecté !» Ils ne disent pas «nos droits» ; ils disent «on a envie d’un droit à la protection ; on a envie d’un droit à un environnement sain…» Nous avons touché 10.000 jeunes dans les établissements scolaires plus ceux qui étaient en dehors du système scolaire, soit environ 13.000 jeunes. Et ces jeunes-là ont compris qu’ils avaient la capacité de s’exprimer sur leurs droits. Ils vont continuer à le faire.
Ce que j’aime aussi dans cette édition du SUD est qu’on a outillé les jeunes pour qu’ils aient une manière de se positionner dans une perspective de construction et de dignité. Il est une pièce que j’ai aimé plus que les autres que j’aime également, c’est celle d’Erik Goengrich intitulée «ARENA of humanity and the Right of Business». Cet espace hyper-confortable quoique aride à première vue ne vous laisse pas repartir une fois que vous vous y êtes installé. Elle ouvre cette possibilité de se projeter dans l’avenir. C’est un lieu où les élèves vont pouvoir ouvrir un dialogue sur un projet qu’ils souhaitent développer, par exemple sur ce qu’ils comptent faire comme métier. Le SUD 2017 a créé des œuvres qui vont continuer à vivre. Il y en a, comme celle de Moustapha Akrim, qui vont abriter des séances d’éducation à la citoyenneté sous le contrôle de volontaires qui se sont désignés pour conduire les discussions. Certains responsables d’établissement pensent pouvoir faire des enseignements au sein de certaines œuvres implantées dans leurs établissements.
Un mot sur le prochain SUD ?
Le SUD 2017 n’est pas terminé. Il manque l’installation des œuvres de Justine Gaga et de Michèle Magema. J’espère pouvoir drainer les financements nécessaires et suffisants pour qu’à la fin du premier trimestre 2018 on puisse les inaugurer. On va aussi poursuivre le travail d’Ivan Argote qui a transmis un savoir-faire pour la production des dallettes qui vont parsemer la ville avec des messages sur les droits, la dignité et l’amour. Dans le même temps nous préparons le SUD 2020. Nous sommes en négociation avec un chef de village qui souhaite passer commande à un artiste pour réaliser des œuvres dans son village. Il a une vision pour son village et ne sais pas comment s’y prendre. C’est dire combien nous avons entamé déjà la réflexion sur la prochaine édition.
Recueillie par Parfait Tabapsi