Chroniques

« Les divorcés » de Koko komégné

Il n’y a qu’à regarder l’ensemble des œuvres de Koko Komégné pour admettre qu’il est un artiste en quête : recherches stylistiques, enquêtes formelles et, enfin, tentative de formulation d’une ontologie personnelle qui reflèterait celle des camerounais. Cette ontologie en construction partirait de son substrat ethnique d’abord, ensuite de la cumulation des flux issus des lieux fréquentés tout au long de son cheminement existentiel. Ce foisonnement d’expériences transparaît dans la production des formes qu’il donne à voir à son public depuis près de cinq décennies.

Ayant pour école les expériences de la vie, Koko Komégné est l’homme des pérégrinations. À l’écoute des pulsations, il tire les leçons de ses expériences vécues pour les convertir en œuvre d’art. C’est grâce à cette disposition intellectuelle qu’il eut l’intuition de ce qui allait devenir son approche picturale. Cette démarche-là advint à la suite d’un choc. Un choc heureux s’il en est. Son ami, le poète et critique d’art Anne Cillon Perri, rapporte les termes suivants d’une confidence : «Votre art, ce n’est pas de reproduire les choses comme Dieu les a faites». 

«Cette phrase m’a hantée pendant au moins 6 mois. […] J’ai repensé aux mystères, aux danses, aux symboles, à l’imaginaire de mon village, aux discours de ma grand-mère, et j’ai compris. Il ne s’agissait pas de faire l’art comme les blancs, mais de réaliser quelque chose d’autre, quelque chose qui n’est forcément pas ressemblant avec quelqu’un, qui n’est pas tellement beau, mais qui invite à la méditation. Ma théorie de la diversion optique était née.»

La méditation qui a résulté de ce choc constitue en soi un moment théorique, son école à lui. Intuitivement, il comprit qu’il fallait rechercher l’originalité dans son propre fond. Si le beau portrait qu’il s’était ingénié à réaliser traduisait une imitation vide et pleine de prétention, il sut aussi que le travail artistique reflète d’abord l’âme propre de l’artiste. Ce qui exige de cerner ses modalités d’expression.


D’emblée, l’on s’attendrait à voir deux personnages. La diversion optique nous mène à un personnage, sans doute androgyne. Le thème de l’androgynie originelle guide cette méditation picturale qui nous raconte la séparation générique qui s’opère en chaque individu pour définir son identité sexuelle : premier divorce.

L’Art pictural en Afrique Noire, dans ses principes originels n’a donc pas vocation à reproduire exactement les individus car on passerait pour un «voleur d’âme» mais, plutôt, à emprunter à la nature ses éléments pour composer une parole nouvelle. C’est ce principe-là qui a donné lieu à son esthétique, la diversion optique. Celle-ci consisterait à refléter dans sa production picturale, des suggestions qui tissent en nous une infinité de messages. Des messages sans cesse renouvelés, comme une sorte de jeu, où l’on regarde en déformant volontairement ce que l’on voit pour féconder une nouvelle image, un nouveau discours.

Tout d’abord, le travail pictural de Koko Komégné porte cette obsession de la construction asymétrique en laquelle s’insinuent de multiples figures géométriques. Effets fantaisistes ? Non, car il y a toujours dans ces lignes de construction, une quête de l’équilibre si tant est que l’équilibre est la neutralisation des forces antithétiques. Cette quête, s’illustre par des lignes et des figures que l’on peut interpréter comme autant de lignes de forces qui tracent l’orbite d’un mouvement intérieur, mais aussi comme des marquages d’une parole graphique qui se dévoile dans un halo d’énigmes.

Les divorcés représente un concentré de cette démarche esthétique, où l’on assiste à un foisonnement de couleurs qui révèle la prédilection de Koko komégné pour les couleurs vives. Assurément c’est un passionné, attiré par des ambiances chaudes et sensible aux turpitudes qui troublent l’homme, le déchire.

Le portrait qui se prête à la présente analyse, se brouille avec l’image que suggèrerait le titre ! D’emblée, l’on s’attendrait à voir deux personnages. La diversion optique nous mène à un personnage, sans doute androgyne. Le thème de l’androgynie originelle guide cette méditation picturale qui nous raconte la séparation générique qui s’opère en chaque individu pour définir son identité sexuelle : premier divorce. Ensuite la survivance de cette androgynie qui se vit comme un manque et se manifeste par la cohabitation des principes mâle et femelle. Laquelle nous accompagne notre vie durant et sans doute, constitue le moteur de notre attrait pour le sexe opposé. La fusion entre les deux reconstituerait cette androgynie originelle. L’autre degré du divorce intervient à la suite d’une rupture amoureuse dont les effets se prolongent au plus profond de nos composantes intrinsèques.


Le talent de Koko, c’est de restituer de manière picturale, les mouvements de la vie en construisant une image parcourue de lignes où l’on distingue aisément la part femelle côtoyant la part mâle. Les contrastes de couleurs participent de la même idée y compris les mouvements ascendants et descendants, l’orientation et la consistance du regard de chaque œil, le positionnement des oreilles …

 Le talent de Koko, c’est de restituer de manière picturale, les mouvements de la vie en construisant une image parcourue de lignes où l’on distingue aisément la part femelle côtoyant la part mâle. Les contrastes de couleurs participent de la même idée y compris les mouvements ascendants et descendants, l’orientation et la consistance du regard de chaque œil, le positionnement des oreilles, … tous ces détails s’inscrivent dans une dialectique de l’antithétisme où, les écarts idéels tout en suggérant la séparation, composent un corps. Il réhabilite par ce procédé de cognition, la pensée africaine qui s’organise en composant un discours où les contraires cohabitent allégrement. L’esthétique de Koko Komégné est assise sur la résurgence du passé africain qu’il se réapproprie par la réactualisation des thèmes et du traitement des formes avec le souci central de les cadrer dans la contemporanéité.

La peinture révèle ses latitudes originelles et les passions qui le traversent. Elle dévoile une palette variée truffée des couleurs chaudes qu’atténuent des tons sombres. Quoique passionnée, elle diffuse une ambiance douce nimbée de paix.

 Les divorcés dont «La mémoire perdue» semble le pendant en relief de cette méditation, révèle la rupture ontologique qui caractérise l’africain actuel si l’on se fie à la texture du trait qui en définit les contours. Ces lignes fines et lisses qui disent la solitude et la fragilité de l’homme, doivent plier et non rompre pour former des chevrons (sinusoïdes) afin de constituer des zones d’accrochage si tant est que, l’emboîtement des chevrons, préfigure l’union de la force et de la faiblesse, du mâle avec la femelle pour qu’advienne et prospère la vie. 

Wilfried Mwenye, Voi(e)x Esthétiques

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