Critiques

Alioum Moussa : une esthétique de l’ambiguïté


Le travail d’Alioum Moussa est une profonde réflexion sur la condition humaine. Il l’exprime sous le prisme des rapports de l’homme à l’économie d’une part, et de la conjonction de forces qui en découlent ou les motivent d’autre part.

De la beauté brandie sous la lumière, Alioum Moussa en fait fi et recherche plutôt la part invisible et hideuse que l’on cache et qui infiltre toute action humaine. Avec ses mécanismes esthétiques, il aspire à exprimer la vérité non dite qui émane de l’absorption de la beauté crue et par le truchement de celle-ci, à rendre compte de la douleur qui lui est inhérente.

Sa technique, un peu à la manière de l’ethnographe, se veut participative, laborieuse et éprouvante.  Par ce procédé, notre plasticien imprègne sa chair et son âme de la peine endurée par les ouvriers du confort. Un peu comme par une sorte de passage à l’épreuve auto-infligée  pour vivre, puis nous restituer, par ses sensations à lui, cette douleur mise au service du progrès. Laquelle, au demeurant, essuie quelque peu une immense ingratitude. Car derrière cette douleur endurée, il y a des hommes meurtris, d’autant qu’ils sont invisibles.

Les matériaux de prédilection d’Alioum Moussa empruntent à l’univers de la mode qu’il nous donne à saisir comme un symptôme de notre malaise social. En effet, la mode, avec son clinquant, se veut la vitrine de nos rêveries. Pour cela, elle doit nous interpeller, nous amener à remonter la filière jusqu’à sa source. Jusqu’à la rencontre de l’humilité faite chair. Car c’est la mode qui attise nos vanités et nourrit nos égos. Elle éblouit tant et si bien qu’on se vautre dans le mirage de ses illusions, cultivant toujours un peu plus nos appétits pour la nouveauté et les tendances. Pendant ce temps, frénétiquement, la planète s’essouffle, l’humain se déshumanise.

Osons aller dans les champs et dans les ateliers de confections. Pour nos bijoux, retournons à la mine d’or et/ou à celle des pierres précieuses ! Allons dans les tanneries, à la rencontre de l’origine des cuirs délicats qui façonnent notre élégance. Nous y verrons, à coup sûr, de la sueur, des grimaces, du sang, de la puanteur, … Oui, cela est le visage inavoué de nos goûts.  L’ombre de ce qui nous envoûte, nous ensorcelle sous la féerie des vitrines et des flashes. Alioum nous invite à y voir les prémisses de tous les conflits qui meurtrissent l’humanité.

Avec le projet Pansement, justement, il reste fidèle à sa ligne méditative. S’il travaille et interroge le tissu, c’est qu’il y a non seulement une volonté de maintenir en lien entre  les hommes autour d’une cause commune, mais aussi un besoin de  mise en lumière des blessures de l’humanité. Ceci en maintenant le désir d’atténuer l’impact de la douleur par le détour de la sublimation et le pouvoir de son écho dolosif.

Alioum Moussa est comme obsédé par le principe de la conservation de l’énergie. Son travail vise à ramener à notre conscience les dépôts d’énergies qui imbibent chaque article généré par les petites mains. C’est l’un des principes directeurs de sa démarche qui s’est déjà illustrée avec la série des Masques friperies. Il n’est pas question, pour lui, de laisser mourir l’énergie humaine investie dans les biens de consommation courante. Il faut lui redonner vie en la ressuscitant et/ou en la perpétuant dans l’œuvre d’art.

Pansement opère ainsiun dépassement car il nous introduit au cœur des pulsations de la douleur humaine tout en nous projetant dans un univers de gaieté. Le tissu (étoffe) et les effets chromatiques devenant les liens entre rêves et souffrances. C’est cet usage de l’ambiguïté qui sourd de la génération des formes qui fondent le socle discursif de cette expérience : sublimer la douleur et la méditer joyeusement, pourquoi pas ?

Le pansement, c’est l’aspiration à la guérison. Mais pour panser, on étouffe la blessure, on réveille les nerfs ! Pour ne pas mourir dans la conscience des hommes anciens, l’on conservait des dépouilles dans des bandelettes d’étoffe. Panser, dans le présent processus de création, c’est célébrer la vie en ses deux facettes : La vie#la mort ; la joie#les pleurs.

Si l’on s’évade par le canal de la joie chromatique, on est cependant saisi par la constance de certains thèmes : La bouche comme barricadée par des bâtonnets ou cousue de lourds fils nous rappelle que l’homme a encore la parole bridée. La main, avec les nervures de ses lignes, qui, de par leurs courbes, rappellent également les lignes de circuits des plaques électroniques est une autre récurrence dans ses travaux depuis plus d’une décennie. Elle explore une infinité d’expressions dont la plus manifeste peut être la main comme signe d’ouverture et de rencontre entre les univers physique et psychique.

Cette conjonction de Mondes et des techniques engendre cet ‘‘effet numérique’’ dans lequel le visiteur plonge dès le contact au loin avec les images qui tantôt se pixelisent, tantôt se déclinent en de douces moirures. A mesure que celui-ci s’en rapproche, d’autres réalités se manifestent à son intelligence imaginative, d’autres lectures s’ouvrent à lui.

C’est à ce jeu d’ambivalences que nous invite ce travail sur les pansements. Panser l’âme, penser la condition humaine afin qu’elle accède au meilleur de sa couleur, telle me semble l’idéal visé par ce travail d’art.

Wilfried Mwenye, Critique d’art, Voi(e)x Esthétiques

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