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Jimi Hendrix, le splendide météore

Evocation du guitariste de génie Jimi Hendrix, 47 ans après sa mort à Londres.

À quoi eusses-tu ressemblé à 75 ans, en 2017, si tu n’étais pas mort de cette stupide overdose à Londres au seuil de l’automne, alors que l’été jetait ses derniers feux sur la campagne anglaise ? Avant que j’achète All along the wachtower en 45 tours, c’est dans le train de nuit aka couchette reliant Douala à Yaoundé que ta disparition est arrivée dans mes oreilles, par la radio – on disait transistor- d’un passager. Une phrase laconique. De ta première apparition publique au festival de Monterey en 1967, à ce fatal 18 Septembre au bord de la Tamise en 1970, dans le très bourgeois quartier de Kensington, quatre brèves années seulement s’étaient écoulées. Même les étoiles filantes ne fusent pas de la sorte, aussi vite, dans le ciel, Jimi! Il ne t’aura pas fallu plus de temps pour être une ‘milestone’ et installer une légende intacte à ce jour. Par ces temps de biopic à Hollywood, tu en mériterais bien un. Mais qui tiendrait ton rôle ? Où ira-t-on dénicher ce gaucher et comédien qui saurait avoir ta dégaine? Ta nonchalante flamboyance là ? Inimitable. Ce n’est peut-être même pas la peine d’y songer et autant qu’il en soit ainsi. Nul virtuose sur la scène rock n’a été aussi éthéré que toi et il y en a eu d’excellents : Stevie Winwood, Eric Clapton, Jimmy Page, Frank Zappa, Rory Gallagher, Jeff Beck, Prince, etc. Quelqu’un a écrit sur You Tube que tu étais le «dernier explorateur», en commentaire après un autre évoquant le «vide sidéral» que tu as laissé. Rien moins que ça. Comme quoi, les inconsolables n’ont pas peur des hyperboles en ce qui te concerne. Pas du tout.

En Terminale, ayant acheté le double album Electric Ladyland, je suis rentré fièrement avec mon acquisition at home. T’aurais vu la tête de ma brave mère, son effarement de bonne chrétienne qui marche droit, en suivant la ligne de conduite prescrite par le Mgr Graffin de leur enfance indigène, le célèbre évêque et vicaire dont tout le terroir beti se souvient, mais j’imagine les autres aussi de confession catholique. Quoi ? La pop ? Cette musique de drogués ? Sous son toit ? Sa réticence n’alla pas plus loin que ce froncement de sourcils. Quand tout le monde sortait, je restais seul à la maison les samedis après-midi rien que pour t’écouter en boucle sur le tourne-disques combiné à un radio-meuble, muni d’un dispositif pour empiler les vinyles, et  »1983 a merman I should turn to be’‘ m’a emporté loin parfois, quelque part dans la Voie Lactée. Une composition totalement stellaire et plongeant dans la mer, onirique, repérée parmi un riche répertoire déjà pas mal psychédélique. Les hippies avaient fort mauvaise presse de ce côté du monde qui n’en finit pas d’être conservateur tendance dure et réac’. J’achetais Best ou Rock & Folk, les deux magazines spécialisés, si tu étais au sommaire du mois. Rarement vu un absent aussi présent, un mort aussi vivant. Tu as fait de la Fender Stratocaster une guitare mythique, entre technique et vélocité.

Il est 1h10 et la pluie repart. Sous quelle étoile vins-tu au monde, Jimi ? Il y a parfois dans ta voix et tes solos torturés à la pédale wah-wah, des accents de tragique, quelque chose, comme si les dés étaient jetés. Mais peut-être que je me fais des idées ex-post sachant que tu as tiré ta révérence si jeune encore, quand même, 28 ans, certes c’était la saison avec les Jim Morrison, Janis Joplin, Brian Jones, le club des 27 ans, life in the fast lane. Déchiré à Woodstock, le freluquet sage à la télévision suédoise est passé de l’autre côté du miroir déjà. Vivre intensément et vite à l’âge de la conquête spatiale, faire de chaque instant une plénitude inexpugnable, ouverte à tous les délires et à toutes les expériences border line. La dé-mesure est une option d’existence comme une autre, respectable, et il y eut une esthétique hendrixienne tout au long des 70s, filant cette mélancolie irisée, réfractaire au temps qui passe et indifférente à celui qu’il fait dehors.

Tes décoiffants envols électriques à la guitare me changeaient du son de cette discothèque soul qui monopolisait par trop le paysage local avec la section vents, les claviers et les choeurs millimétrés. Le Jimi Hendrix Experience ? Vous étiez trois, toi et deux jeunes White. Plus minimaliste que ça dans l’histoire du rock, je ne sache pas qu’il se soit trouvé quoi. Mitch Mitchell et Noël Redding se sont peut-être sentis lésés parfois qu’il n’y en ait souvent eu que pour toi dans les médias, et eux relégués au rang de gentils accompagnateurs, just side men du primus inter pares, le premier d’entre ses pairs. Est-ce que c’est injuste ? Je ne peux pas trancher. Ainsi va la vie sur Terre ? Probablement. Tu étais leur gars et ils étaient tes gars, vous avez tracé dans le roc un sillon visible depuis la station spatiale. Même si le musée à Seattle porte ton nom, les leurs font bel et bien partie de cette mémoire collective.

Longtemps du haut de sa mezzanine, le regretté Didier Schaub a lancé ‘Hey Joe’ les soirs de vernissage au ‘white cube’ de Bonanjo, l’Espace doual’art, le raout changeait de fréquence et alors il jubilait, notre ami qui n’avait ni dieu, ni maître, était aux anges. M’a toujours paru que la bannière anarchiste, rouge et noire, celle des égaux et de l’insoumission chronique à l’ordre des puissances mondaines établies, te conviendrait davantage que l’étoilée, n’est-ce pas ? «Trop facile d’annexer un mort à une chapelle !» m’objectera-t-on, non sans raison.

Il est loin le flower power, le temps des fleurs en collier, patchouli, love & peace, la saison des combi VW aussi peinturlurés que la Porsche de ta pote Janis Joplin, quand j’entends  »All along the watchtower, un Douala disparu refait surface », la pâtisserie Astoria avec sa patronne trop fardée et le salon à l’étage, où notre adolescence atterrissait, garçons et filles, après le film de 16 heures, le Bona et ses pains chargés, qui dans ma génération se souvient même encore de ce nom et de lui, son kiosque à sandwiches était installé au coin du stade Akwa, saucisson à l’ail et beurre de table, nous l’accompagnâmes un triste jour et en voisins émus à sa dernière demeure, au cimetière en face de la Cathédrale, internes chez les Jésuites au collège Libermann, j’étais très samara à cette époque, en 1970, l’Indépendance avait dix ans seulement, Ahidjo avait organisé une fête à Yaoundé pour cet anniversaire et reçu en grande pompe ses pairs en brutalité de la région, les Bokassa, Mobutu et Cie, une manière de démentir le pronostic pessimiste de René Dumont, l’Afrique noire était bien partie pour cette clique de remplaçants, on voit le résultat aujourd’hui, les déserteurs et déserteuses se noient dans la Méditerranée. Le Grand Soir n’a pas eu lieu et California dreamin’ a accouché de la Silicon Valley, bastion des nouveaux champions du capitalisme sous algorithmes. Pas sûr que ce monde t’aurait beaucoup amusé, mister Jimi Hendrix, splendide météore apparu au Summer Love Festival de Monterey il y a cinquante ans pile, jusqu’au bout de ce voyage sur Terre dans ma playlist tu resteras.

Lionel Manga, auteur & critique d’art

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