The New Art of Playing Afro Beat !
Je le dis d’emblée : Tony Oladipo Allen (Tony Allen), légendaire batteur nigérian du «Black President» depuis la décennie 70 et non moins chanteur, paye ici le tribut à une musique progressiste qui porte les revendications underground sociopolitiques de tous types, l’Afro Beat, dont Fela Anikulapo Kuti – dont il fut le directeur artistique – fut le pygmalion incontesté et incontestable. L’écoute de cet album énigmatiquement intitulé Secret Agent (World Circuit Records, 2009) [en sa Bonus Track Version] nous replace au cœur de la problématique des conditions d’un «vivre ensemble», malheureusement souvent coincé sous nos cieux. Et qui sonne – le titre s’entend et dans les deux sens – comme un sournois et provocateur défi lancé à cette technostructure dominante qui s’accapare de tous les privilèges sociaux ; et, d’un autre côté, comme une mise en garde des «Boys» aux muscles saillants qui veillent au grain des intérêts multiformes de la Jet-Set de son Nigéria natal.
Les 12 titres de cette version d’un Afro Beat bien rangé, s’écoutent en prenant bien compte que Tony Allen est conscient de l’évolution d’une musique qui puise sa force en la capacité de ses géniteurs sociaux à pouvoir «rester debout», pour montrer la voie à suivre au petit-peuple, lui qui, aujourd’hui, vit bien loin des galères de ce peuple-là. Mais n’est pas moins au fait de ce que ce petit-peule endure au quotidien ! J’ai recherché en vain ce côté rebelle et anticonformiste dans les 12 chansons de cette version au demeurant de bonne facture, sans le retrouver ! Allen montre que, si les choses sont toujours aussi préoccupantes sur le plan politique, en revanche, la musique qui est fondée à porter les revendications sociales, elle, s’est muée en une révolte polie qui ne délégitime pas pour autant son statut initial underground. Et c’est en ce sens, je pense et je peux me tromper, qu’il faut saisir ce travail et notamment des thèmes comme l’excellent «Elewon» (Too Many Prisoners) et des chansons écrites par les compositeurs King Odudu, Abiodun Oke Aka Wura Samba, Bola Dumoye Aka Switch et surtout Orobiyi Adunni Aka Ayo dont j’apprécie particulièrement les compositions et la voix.
«Celebrate» et «Ayenlo» sont manifestement les chansons qui symbolisent le mieux cette nouvelle approche de l’Afro Beat allégé, moins tonique malheureusement et qui peut déstabiliser les puristes, qui met manifestement l’accent sur un travail spécifique du rythme (n’oublions que Tony Allen est d’abord un batteur à l’opposé de Fela Anikulapo Kuti qui composait et chantait avec ses tripes !). Les textes très courts et l’univers sonore moins insurrectionnel ; le rythme ralenti qui nous replonge dans la noble tradition musicale Yorouba et qui joue finalement sur la métrique ; bref, tout ceci nous donne l’impression que Tony Allen joue sans «descendre dans la rue» comme au bon vieux temps de l’Africa’70 avec les Tunde Williams, Igo Chiko, Friday Jumbo, Tony Abayomi, Isaac Olaleye, etc. Tout en restant serein, Tony s’est assagi, c’est évident ! C’est juste le rapport esthétique avec cette musique qui a changé, pour faire dans l’ère du temps. Ce qui peut s’expliquer, je crois, par les multiples expériences musicales et les nombreuses remises en question qui jalonnent la carrière de cet homme qui reste tout de même une référence en la matière. Et c’est pour cette raison que je vous convie à l’écoute de cet album en sa version LP dotée de deux Cd. Secret Agent est l’avant-dernier album de Tony Allen. Le dernier en date, Film of Life est paru durant cette année en cours.
Joseph Owona Ntsama