Critiques

Dassa, une vie de pierre

Avec le film Okuta, la pierre, Ayéman Aymar Esse fait une incursion dans la vie ordinaire des populations de cette localité béninoise dont le point de gravité tourne autour de la pierre qui la cerne de parts en parts.

A Dassa, la pierre a élu domicile depuis longtemps, très longtemps. Au point de contraindre les populations de ne pas se passer d’elle. Pour leur plus grand bonheur et l’affirmation de leur identité particulière. A 200 km de Cotonou en effet, 41 montagnes ceinturent des villages où les populations sont loin d s’ennuyer. Où la pierre sert à plusieurs activités liées à la vie terrestre et à l’au-delà.

A leur installation sur ce territoire, les premiers hommes se sont abrité sous la pierre qui leur a servi également de moyen de sécurité face à des assaillants venus d’Abomey. Depuis les grottes suspendues en hauteur, ils ont en effet vu leurs adversaires venir et anticipé sur leurs attaques en faisant rouler des morceaux de pierre aux tailles impressionnantes pour faire déguerpir les soldats du royaume et ainsi garder le droit de vivre librement.


Une œuvre qui brille par une chromatique époustouflante assorti d’un récit original. Le narrateur ici est en effet rentré dans la peau de la pierre pour raconter son histoire, partager ses angoisses et conseiller sur la vie sociale.

Par la suite, la pierre qui abonde ici a servi de territoire d’expression artistique au point qu’un véritable musée à ciel ouvert a vu le jour ici. Rendant heureux les adeptes, c’est le cas de le dire, de l’art dans l’espace public. Mais il n’y a pas que cela. La pierre ici est également le territoire des rites de purification et de soin des maladies mentales et physiques (surtout les os); il a aussi servi de territoire d’implantation des nouvelles religions avant de constituer le matériau principal des constructions d’habitation, avec un style chatoyant et la garantie de la durée.

Tout cela, Ayéman Aymar Esse en a fait la trame de ce documentaire qu’il a intitulé Okuta, la pierre. Une œuvre qui brille par une chromatique époustouflante assorti d’un récit original. Le narrateur ici est en effet rentré dans la peau de la pierre pour raconter son histoire, partager ses angoisses et conseiller sur la vie sociale. Le texte rendu est sans fioriture, avec une déclamation reposante qui épouse le ton même du film que les images viennent consacrer. Sur les visages et dans les yeux des riverains coule une joie de vivre troublante que les difficultés de la vie quotidienne ne semblent pas altérer. On peut même parler d’alacrité par moments tant des images qui se suivent sourd une dignité respectable.


Ce film atteste de ce que par ces temps de dégradation de l’environnement, l’homme peut faire corps avec la nature et en faire même une harmonie salvatrice. Il a remporté le prix du documentaire à la première édition du Festival des identités culturelles (FESTIC) organisé par le CNA en novembre 2018 à Ouagadougou.

Et que dire de l’espace urbain lui-même ? Bien que ce ne soit pas le sujet central du film, il reste qu’avec des plans en hauteur, probablement à l’aide drones, l’on constate la propreté et le découpage de l’espace. Entre les collines se déploient également une végétation à la luxuriance aguichante. Serait-ce donc un paradis ? Que non ! Le film pointe du doigt la vie dure et attire l’attention sur l’agriculture qui se meurt du fait de la faiblesse des récoltes qui éloigne les cultivateurs vers des activités plus rentables comme le concassage des pierres. Activité encore artisanale certes, mais qui appelle une réaction rapide des autorités au cas où elle deviendrait industrielle. Ce qui n’est pas une impossibilité pour peu que des industriels véreux, endogènes ou venus d’ailleurs, animés par un capitalisme sans cœur se décident de s’y installer. Il sera alors trop tard ou difficile de réagir.

Au total, ce film est bien au-delà d’une carte postale ordinaire. Il atteste de ce que par ces temps de dégradation de l’environnement, l’homme peut faire corps avec la nature et en faire même une harmonie salvatrice. Il énonce également au passage ce qui pourrait être un poncif pour des esprits chagrins : la pierre a tant de vertus pour la vie humaine. Il faut simplement songer à la préserver et à en faire profiter les générations futures. Un vrai défi pour les Ida Acha qui peuplent le coin. Ce film a remporté le prix du documentaire à la première édition du Festival des identités culturelles (FESTIC) organisé par le CNA en novembre 2018 à Ouagadougou.

Parfait Tabapsi

Okuta, la pierre d’Ayéman Aymar Esse, Les films du siècle, documentaire, 52 mn, 2018

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