Critiques

Fresque pour héros ordinaires à Yaoundé

L’exposition du jeune photographe à l’IFC du 8 septembre au 9 octobre place au centre des enjeux de ses créations, les moto-taximen. Entre manifeste social et starisation.

Bendskinner. C’est ainsi que l’on désigne communément les moto-taximen au Cameroun. Une catégorie socioprofessionnelle qui a fait irruption dans le champ social au début de la décennie 90 à la faveur des effets conjugués de la crise politique, de la crise des transports urbains et de l’essor de la grande pauvreté. Aujourd’hui, la réputation des Bendskinners est associée à l’engeance, à la survie, au grand système D. Une autre perception de ces usagers de la route les relie à l’indiscipline caractérisée, cause de multiples accidents de circulation mortels. De telle sorte que dans certains hôpitaux, des pavillons ont été rebaptisés «pavillons bendskin». En effet au fil des années, cette activité connaît une croissance exponentielle, avec tous les désagréments qui vont avec.

Par la force du nombre et les opportunités que leur offre les besoins de mobilité des personnes, ils se sont rendus utiles dans les cas de rapidité de déplacement dans les situations d’embouteillage ou d’accès dans les zones non desservies par les automobilistes, ou enclavées. Par un excès d’importance ou d’ignorance, ils ont fini par annexer la route. Généralement regardés de haut comme des rebus sociaux, les Bendskinners ont développé une conscience de solidarité jusqu’à devenir une force de revendication et de présence. Une telle prégnance sur le quotidien a obligé les pouvoirs publics à réguler la profession. D’ailleurs, il n’est pas jusqu’au président de la République qui ne reconnaît leur job, les citant dans une de ses adresses à la nation. Mais il faut se rendre à l’évidence, la profession de moto-taximan accueille tout individu qui peut déplacer une moto et en quête de gains journaliers : jeunes, adultes, diplômés sans emploi, déflatés et autres en attente de meilleur emploi. Un véritable pôle-emploi tous risques et pour tout venant. Ici, la mise vestimentaire ne s’indigne pas de misérabilisme. C’est leur identité sociale, leur identité visuelle, naturelle.

Mais depuis le 8 septembre 2015, les Bendskinners revêtent de nouveaux atours. Le jeune photographe Rodrigue Mbock les a portés aux nues de la création photographique et du rêve. Ayant suivi un groupe de Bendskinners au quartier Biyem-Assi à Yaoundé, le photographe a senti un intérêt artistique et plastique pour ce transporteur urbain et rural qui, selon la situation, est «ambulancier, animateur de cortège de mariage ou de politiciens, auxiliaire de police en ce qui concerne la poursuite des voleurs, auxiliaire des agences de renseignement dans la lutte contre le terrorisme…» Comme le dit Florian Nguimbis, écrivain et bloggeur camerounais.

Les portraits des douze modèles, les scènes de reconstitution, de recréation graphique ; le cadrage, la mise en espace et l’impact des images dévoilent le choix sans ambages de Mbock de créer des héros et de leur donner de la consistance. A regarder leurs postures et allures, on se croirait devant un «band – gangster» digne des films hollywoodiens et une revue de ses éléments. Casque ou casquette vissé(e) sur la tête. Le rapport aux images devient un emballement dans la fiction où l’artiste accomplit son processus de starisation des Bendskinners. Plus proches de la réalité, ces photos de mise en scène. La représentation quelque peu surréelle de «La rêveuse» coupée du monde sensible des moto-taximen. Evidemment, la bagarre, l’accident, la surcharge des marchandises, la vitesse, le coté vicieux des Bendskinners occupent une place importante dans l’éventail des photos. Nonobstant un trop grand goût pour les effets visuels et donc d’image surfaite, Rodrigue Mbock nous sert une exposition où la photographie sociale prend tout le sens d’un manifeste.

Martin Anguissa

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