Critiques

Noah, Tara, Cuba !

Patrick Noah et sa troupe de joyeux lurons ont su refleurir le pont Afrique-Cuba à la faveur d’un concert maîtrisé où l’harmonie des rythmes des deux espaces séparés par l’océan a rappelé tout le bien qu’il y avait à maintenir un dialogue culturel riche déjà de productions de qualités.

Emerveillement, enchantement, fête et joie. Le 7 décembre dernier, Patrick Noah a signé son retour auprès du public camerounais de la plus belle des manières. Avec un concert qu’il sera difficile d’oublier tant il a démontré que 13 ans après son dernier passage sur la même scène et au Cameroun, il n’avait jamais travaillé autant pour continuer de mériter la confiance de ceux que ses deux premiers albums avaient enchanté. Le tout sans départir d’une orientation esthétique que d’autres avant lui ont empruntée.

Le pont Cuba-Afrique est en effet fleuri depuis les indépendances de connexions nombreuses. Avec des fortunes diverses aussi. Que l’on se souvienne simplement des albums que ces rencontres ont produit ou de la qualité des artistes qui ont emprunté ce pont qui n’a pas, c’est le moins que l’on peut dire, livré tous ses secrets.

Ce soir de décembre, ce fut un très bon Noah. Qui en huit plages a su mettre le public dans sa poche avant l’extase qui allait suivre dans le hall de l’Institut Français du Cameroun de Yaoundé où les mélomanes ont laissé libre cours à leurs envies de se trémousser. Mais avant, Noah aura réalisé une prestation, une performance d’une qualité rare. Au-devant d’un orchestre riche de neuf musiciens (un batteur, un tumbiste, un pianiste, un guitariste, une chanteuse et deux trompettistes), il a conduit sa troupe de joyeux lurons dans une odyssée dont la boussole aura été à chaque fois la note juste et le jeu fluide. Un jeu qui aura été solaire et où chacun a joué sa partition sans piétiner celle de l’autre. Dans un mouvement que trois semaines de préparation a aidé à asseoir.

Pour ce qui est du rythme, Noah n’a pas fait de magie. Pachenga, salsa et bikutsi se sont invités sans s’entremêler. De Lola à Saperia en passant par Abang Moan, le répertoire de Noah s’est égrené lentement et fermement. Bien sûr que Noah n’est pas un chanteur hors-pair ; bien sûr qu’il est encore moins un grand danseur. Mais que diable sait-il ajuster les notes et donner à l’ensemble une harmonie envoutante ! Personnellement, je l’attendais sur un classique cubain. Ce fut Chan Chan de Compay Segundo, popularisé voici 20 ans par le film de Wim Wenders à la faveur d’un projet du guitariste américain Ry Cooder et qu’il appela Buena Vista Social Club du nom de ce groupe qui regroupait alors Omara Portuondo, Ibrahim Ferrer, Eliades Ochoa et quelques autres. Noah reprit ce classique avec dextérité dans une écriture plus rapide, plus serrée, les solos de guitare caractéristiques du grand Compay (au propre comme au figuré) en moins. Une Chan Chan Expérience en quelque sorte dont le chant vigoureux aura été également une marque distinctive.

Le Cuba n’étant pas loin de la Jamaïque, Noah a cru bon d’investiguer le reggae. Pas le hard style Tosh, Cliff ou Marley, mais plutôt une incursion curieuse. Dans le morceau dédié à sa fille, il a tenté d’explorer dans le deuxième mouvement ce rythme après avoir dans le mouvement précédent sacrifié à la salsa. Un mélange détonnant au final dont la qualité aura été de susciter la curiosité du mélomane. Pouvait alors arriver le dernier morceau de cette première partie. Un Isamen qui augure de son prochain opus prévu pour cette année dont la dominante est à la base de l’écriture esthétique de Noah : la rencontre entre les rythmes de son Fomakap natal (une banlieue de Yaoundé) et les rythmes cubains.

Que dire de la deuxième séquence de la soirée si ce n’est la prolongation d’un plaisir inoculé par la séquence inaugurale. Ici plus que là-bas, le jeu se fit plus vif et nerveux. Et ce dès le premier titre, Dzal, issu de son premier album. Un mélange à la fois savoureux et dansant, à écouter aussi bien en salon que lors de nuits endiablés où les soucis sont relégués à la périphérie. Le public garni de connaisseurs des mélopées flirtant avec la bossa ne s’y trompa point et se lança à des séquences dansantes que la suite du concert allait poursuivre. On était alors dans une sorte de Off d’un concert produit par le héros du jour et dont le parfum était enivrant par moments.

En repartant de l’IFC, l’on n’eût finalement qu’un seul regret. Au vu de la performance d’Henri Ngassa au bugle, l’on aurait aimé un dialogue rythmique plus suivi entre lui et le guitariste Noah. Cela aurait sans doute mieux rendu ce pont Cuba-Afrique qui constitue le socle du travail artistique du 2è nommé. Mais d’autres gigs suivront sans doute, avec une autre scénographie et une autre coloration. Mais dans le même esprit et la même esthétique. du moins je l’espère !

Parfait Tabapsi

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